Survol de Bruxelles: 400 nouvelles familles attaquent l’Etat belge, « Gilkinet évite le moindre contact »

lalibre.be
11 mai 2022

Un nouveau recours de riverains pourrait coûter près de 40 millions d’euros à l’État. Le médiateur fédéral et le bourgmestre de Wezembeek pointent le ministre Gilkinet, qui « refuse tout contact ». Il dit travailler « dans la discrétion à une solution durable ».

Le dossier du survol de Bruxelles empoisonne les relations communautaires depuis des décennies, sans parler de la vie de nombreux habitants de la capitale et alentours. L’aéroport de Bruxelles-National est situé en Flandre, mais les avions survolent intensément la Région bruxelloise, une partie du Brabant wallon et des communes largement francophones du Brabant flamand. Du moins depuis février 2004 et les mesures du plan du ministre de la Mobilité de l’époque, Bert Anciaux (Vooruit). Ces mesures ont eu pour résultat d’épargner plus largement le nord du Brabant flamand, au détriment de la piste 01, qui passe par Waterloo, avant de survoler Hoeilaart, Woluwe-Saint-Pierre, Crainhem et Wezembeek-Oppem.

Le 22 octobre 2020, la cour d’appel de Bruxelles a rendu un arrêt condamnant l’État à l’indemnisation à hauteur de 9,45 millions d’euros de 93 familles (321 riverains, soit 29 000 euros en moyenne par personne) résidant dans les communes de Woluwe-Saint-Pierre, Crainhem et Wezembeek-Oppem, victimes d’une utilisation jugée excessive de la piste 01. La cour a jugé que l’État avait commis une faute en incluant la piste dans un plan d’exploitation la nuit, le samedi et le dimanche, notamment car il n’a pas pris sa décision sur la base d’études scientifiques.

« À 40 atterrissages de nuit, vous ne dormez plus »

Un nouveau procès impliquant près de 400 familles résidant dans la zone concernée par les nuisances va avoir lieu. Le procès au civil, qui est piloté par l’AWACSS (Association de Wezembeek contre le survol) et par l’ASBL Wake up Crainhem, a été lancé auprès du tribunal de première instance de Bruxelles, comme nous le confirme Laurent Wysen, avocat des plaignants, déjà en charge du dossier précédent.

« En tout, 392 familles, qui ne sont pas les mêmes que les 93 premières, ont introduit le même recours, sous les mêmes motifsL’État belge va donc sans doute devoir indemniser ces familles, ce qui lui coûtera alors quatre fois plus que la première fois », prolonge Frédéric Petit (MR), bourgmestre de Wezembeek.

Les plaignants espèrent en effet être indemnisés sur la même base que lors de la précédente action, ce qui pourrait dans ce cas coûter près de 40 millions d’euros à l’État belge. « Ça commence à bien faire ! Comment le gouvernement accepte-t-il de payer de telles indemnités, en laissant persister des normes de santé publique pas acceptables ? À 40 atterrissages de nuit comme à Wezembeek, vous ne dormez plus ! », ajoute-t-il.

Georges Gilkinet ne répond pas

Les autorités sont-elles en cause ? Pour Philippe Touwaide, médiateur du gouvernement fédéral et directeur du Service de médiation pour l’aéroport de Bruxelles-National, l’indemnisation des familles constitue une réponse incomplète à l’arrêt de la cour d’appel. Et donc une porte ouverte à de futurs recours. « L’État a indemnisé certains riverains situés dans les contours de bruit, mais n’a pas réparé le dommage subi en retirant l’instruction à l’origine du litige, écrit-il dans un mail envoyé à un collectif de riverains lésés. Seul le ministre fédéral des Transports (Georges Gilkinet) est responsable de la bonne exécution de cette décision de justice. […] J’ai, avec toute mon équipe, rappelé au ministre son obligation de réparer le préjudice subi par les riverains et n’ai cessé d’exiger le respect strict du droit, des lois, des dispositions réglementaires et des divers jugements qui font jurisprudence. » Appliquer strictement cet arrêt impliquerait selon lui de facto la remise en service de l’instruction précédente (du 17 juillet 2013), laquelle entraînerait 50 % de vols en moins sur la piste 01. Et une situation davantage vivable pour les riverains.

Contacté par La Libre, Philippe Touwaide dit regretter le manque de retour de Georges Gilkinet, une situation qu’il dit n’avoir jamais connue en 20 ans, avec ses prédécesseurs. « Je n’ai jamais vu, lu ou entendu Geroges Gilkinet depuis le 3 octobre 2020, et je trouve ça regrettable. Il dispose de toutes nos analyses (NdlR, sur la méthodologie correcte du calcul des valeurs de vent) sur son bureau. Il ne peut pas dire qu’il n’est pas au courant de la situation. De plus, il néglige notre service, refusant de renouveler le personnel. »

Ces difficultés sont partagées par le bourgmestre de Wezembeek-Oppem. « J’ai moi aussi tenté d’avoir un contact avec M. Gilkinet , via Écolo et aussi par l’entremise de Sophie Wilmès, mais sans succès, ajoute Frédéric Petit. Dans ce dossier, il ne veut pas la moindre confrontation ni le moindre contact. »

Gilkinet : « Discrétion, rigueur, méthode et concertation « 

Les prédécesseurs du ministre se sont, il est vrai, cassé les dents depuis près de 30 ans sur ce dossier. « Plusieurs jugements ont été rendus, parfois avec des orientations divergentes, réagit Georges Gilkinet. Le gouvernement fédéral est contraint de s’y conformer et nous agissons pour donner suite à ces décisions de justice, notamment par la réalisation de nouvelles études d’incidence et la mise sur pied d’une plateforme de concertation réunissant toutes les parties prenantes. »

Le manque de visibilité du ministre pour les parties prenantes n’est pas à mettre à son discrédit, selon lui. « Depuis ma prise de fonction, je travaille dans la discrétion et avec l’objectif de dégager une solution durable pour l’ensemble des riverains survolés. » L’écologiste souhaite dans un premier temps amener de l’apaisement et rappelle que le groupe technique de la plateforme de concertation continue à travailler sur les solutions techniques à mettre en œuvre le cas échéant.

« Pour aboutir, le travail doit associer l’ensemble des parties prenantes et implique nécessairement discrétion, rigueur, méthode et concertation. Il est inutile d’ajouter du bruit au bruit, conclut le ministre. J’ai pris plusieurs initiatives qui vont toutes dans ce sens : la conduite d’une étude d’incidence afin d’évaluer de manière indépendante l’impact sonore des vols sur les populations ; la mise en place d’une plateforme de concertation ; d’un groupe technique pour trouver et tester les meilleures solutions techniques. Les résultats de l’étude d’incidence sur l’impact sonore des vols, confiée au bureau spécialisé Envisa, sont attendus pour cet été. Ils devraient permettre de nourrir les différentes parties dans la recherche de solutions. »