Tribunal de Montreuil – La justice reconnaît une « faute » de l’Etat pour son inaction contre la pollution de l’air

La justice reconnaît une « faute » de l’Etat pour son inaction contre la pollution de l’air
Le Monde – Stéphane Mandard- 25 juin 2019
Le tribunal administratif de Montreuil a donné raison à une mère et sa fille atteintes de pathologies respiratoires lorsqu’elles vivaient en banlieue parisienne. Une première.
« Historique. » Le mot est sur toutes les bouches après le jugement rendu, mardi 25 juin, par le tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis). Pour la première fois, l’Etat était poursuivi pour son inaction face à la pollution de l’air, visé par un recours pour « carence fautive » déposé par une mère et sa fille atteintes de pathologies respiratoires importantes. Pour la première fois, sa responsabilité a été retenue.
« C’est une décision historique, car la responsabilité de l’Etat est enfin reconnue dans un dossier de pollution de l’air, déclare au Monde François Lafforgue, l’avocat des requérantes, qui ont dû quitter la banlieue parisienne à cause de crises d’asthme qui se sont aggravées avec le pic de pollution intense de décembre 2016. Le tribunal retient la faute de l’Etat dans son incapacité à lutter contre la pollution de l’air. »
En l’occurrence, suivant les conclusions du rapporteur public, les juges ont reconnu « la responsabilité de l’Etat » pour « carence » dans la mise en œuvre du « plan de protection de l’atmosphère » en Ile-de-France. Ce plan est la stratégie de l’Etat pour « rendre aux Franciliens un air de meilleure qualité en accélérant les mesures prises pour diminuer la pollution ».
Dans son jugement, le tribunal de Montreuil estime ainsi que « l’Etat a commis une faute du fait de l’insuffisance des mesures prises en matière de qualité de l’air pour remédier au dépassement, entre 2012 et 2016, dans la région Ile-de-France, des valeurs limites de concentration de certains gaz polluants ».
Dépassements répétés des normes
La France est en infraction avec le droit européen pour ces violations répétées des normes sur la qualité de l’air. Depuis près de dix ans, elle fait l’objet de mises en demeure et autres avis motivés de la Commission européenne pour les particules fines (PM10) et le dioxyde d’azote (NO2). Au point que Bruxelles l’a renvoyée devant la Cour de justice de l’Union européenne en 2018. Au point également que, en juillet 2017, le Conseil d’Etat enjoigne au gouvernement de prendre des mesures rapides pour mettre fin à ces dépassements. Deux ans plus tard, les limites ne sont toujours pas respectées dans une dizaine d’agglomérations françaises, dont l’Ile-de-France.
« C’est un jugement historique pour les 67 000 Français qui meurent chaque année prématurément à cause de la pollution de l’air. Aujourd’hui, les victimes de la pollution comme des pesticides ne doivent plus avoir peur d’aller devant les tribunaux pour défendre leur santé, réagit Nadir Saïfi, vice-président de l’association Ecologie sans frontière (ESF). La justice envoie un message clair à l’Etat en l’incitant à ne plus protéger les lobbys pollueurs mais les citoyens. » A l’origine de la première plainte contre X pour mise en danger d’autrui après le pic de pollution de mars 2014, ESF soutient Farida et sa fille dans leur démarche. Désormais débarrassée de ses problèmes respiratoires depuis qu’elle s’est installée à Orléans, Farida ne dit pas autre chose : « J’espère que d’autres personnes dans mon cas oseront déposer plainte. »
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Trente-neuf instructions en cours
Le tribunal a en revanche estimé que le lien de causalité entre les problèmes médicaux et la pollution n’était pas suffisamment démontré et n’a donc pas retenu la demande d’indemnisation, qui était de 160 000 euros.
Pour Me Lafforgue, qui envisage de faire appel, « la porte reste cependant ouverte pour Farida et les autres victimes de la pollution de l’air qui ont engagé des poursuites ». Olivier Blond, de l’association Respire, se dit également confiant : « Derrière Farida et sa fille, il y a des dizaines de personnes qui souffrent elles aussi de la pollution de l’air et qui ont des dossiers très solides. »
Selon nos informations, 39 autres dossiers similaires à celui de Farida sont en cours d’instruction dans divers tribunaux à Lyon, Lille ou Grenoble. Trois audiences sont déjà programmées devant le tribunal administratif de Paris, le 27 juin, dont celle de Clotilde Nonnez. Cette professeure de yoga parisienne avait été la première à attaquer l’Etat, en juin 2017, épuisée par les crises respiratoires à répétition.
« Nous n’en poumons plus ! » : les députés priés d’agir en urgence contre la pollution de l’air
Le Monde -Stéphane Mandard – 4 juin 2019
Au deuxième jour de l’examen du projet de loi sur les mobilités, des militants de la cause climatique ont organisé mardi une action devant
« Stop à l’inaction. Nous n’en poumons plus ! » Le message est clair. Il s’affiche sur une immense banderole déployée, mardi 4 juin, devant l’Assemblée nationale, à Paris. Il se décline aussi sur les tee-shirts, frappés d’un poumon noir, de dizaines de militants allongés sur le sol. Au deuxième jour de l’examen du projet de loi sur les mobilités (LOM), les associations mobilisées sur le front du climat ont organisé une action spectaculaire afin d’interpeller les députés sur l’urgence à agir contre la pollution atmosphérique et ses effets sur la santé.
« On s’adresse directement aux parlementaires pour leur faire comprendre qu’ils ont notre avenir entre leurs mains. Face aux 67 000 morts prématurées dues à la pollution de l’air, il est plus que temps d’agir avec des mesures concrètes qui auront des effets immédiats », commente Teissir Ghrab, porte-parole d’Action Climat Paris, organisateur de l’opération avec Greenpeace, ANV-COP21 et Respiraction.
Première « mesure concrète » à mettre rapidement en place pour protéger la santé des Français : l’arrêt de la vente de véhicules diesel et essence. Le projet de loi prévoit cette échéance à « horizon 2040 ». Trop tard, pour les associations environnementales, qui plaident pour 2030.
Les ONG demandent également la généralisation du droit au forfait mobilité durable (400 euros par an) à l’ensemble des salariés pour le vélo et le covoiturage ainsi que la possibilité de le cumuler avec le remboursement des abonnements en transports en commun. Comme le regrette également le député Matthieu Orphelin, qui a claqué récemment la porte de la majorité pour protester contre son manque d’action en faveur du climat, le texte ne prévoit pas de le rendre obligatoire. Le gouvernement se réserve seulement la possibilité de le faire par ordonnances, d’ici dix-huit à vingt-quatre mois, si trop peu d’accords d’entreprises sur la mobilité sont signés d’ici là.
« Urgence sanitaire et climatique »
« Cette loi est la plus importante sur la mobilité en France depuis plus de trente ans. Alors qu’il y a urgence sanitaire et climatique, on ne peut plus se permettre des petits pas ou des mesures facultatives. Il est essentiel de rendre possibles les changements de comportement à plus grande échelle », réagit Victor Vauquois, porte-parole de Respiraction.
M. Vauquois en veut pour exemple le succès du dispositif d’indemnité kilométrique vélo que doit remplacer le forfait mobilité durable : « Dans les entreprises où il a été mis en place, il y a eu un doublement de l’utilisation du vélo. » Sur le vélo, les associations reprochent aussi au gouvernement et aux parlementaires d’avoir « rétropédalé » en n’inscrivant pas l’apprentissage du « savoir rouler » à l’école.
Autre mesure réclamée par les associations : « Mettre en œuvre une fiscalité juste et équitable » en mettant fin au remboursement des taxes sur le diesel professionnel dont bénéficient les transporteurs routiers. En outre, les militants de la cause climatique demandent l’abandon de tous les nouveaux projets autoroutiers ou de contournements, comme il en existe à Strasbourg, Toulouse ou Rouen.
La pollution de l’air tue deux fois plus que ce qui était estimé
Le Monde – Stéphane Mandard – 13 mars 2019

Selon une étude inédite, les particules fines seraient à l’origine de 800 000 morts prématurées par an en Europe et de près de 9 millions à l’échelle de la planète.

La pollution de l’air tue. Et le nombre de ses victimes a jusqu’ici été très largement sous-estimé, selon une étude publiée mardi 12 mars dans l’European Heart Journal. La revue médicale de la Société européenne de cardiologie conclut en effet que celle-ci serait à l’origine d’environ 800 000 morts prématurées en Europe chaque année. Un bilan sinistre, qui atteint près de 9 millions à l’échelle de la planète. Des chiffres deux fois supérieurs aux dernières estimations officielles.
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Dans son rapport 2018 publié en octobre, l’Agence européenne de l’environnement concluait que l’exposition aux particules fines (PM2,5, de diamètre inférieur à 2,5 micromètres), principalement, était responsable d’environ 422 000 morts prématurées (avant l’âge de l’espérance de vie) dans l’ensemble des quarante et un pays européens, dont 391 000 dans les vingt-huit Etats membres de l’Union européenne (UE).
L’excès de mortalité imputable à la pollution de l’air ambiant serait en fait de 790 000 au niveau continental, dont 659 000 au sein de l’UE, assurent les auteurs de l’étude dirigée par une équipe de chercheurs allemands de l’Institut Max-Planck de chimie.
Au niveau de la planète, ils arrivent au chiffre impressionnant de 8,8 millions de morts par an, soit près du double des 4,5 millions de morts retenus jusqu’ici par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la pollution de l’air extérieur.

« Plus de morts que le tabac »

« Pour mettre ces résultats en perspective, cela signifie que la pollution de l’air fait plus de morts chaque année que le tabac, responsable de 7,2 millions de décès selon l’OMS », commente l’un des auteurs, Thomas Münzel, de l’université de Mayence (Allemagne), qui fait remarquer qu’« on peut éviter de fumer, pas de respirer un air pollué. »
Rapporté à la France, le nombre de morts prématurées imputables à une mauvaise qualité de l’air serait de 67 000. Beaucoup plus que l’estimation de 48 000 morts retenue depuis quelques années par Santé publique France et reprise dans toutes les communications officielles.
Comment expliquer un tel décalage ? Pour parvenir à ces résultats fortement révisés à la hausse, les chercheurs ont construit un nouvel outil statistique. Appelé « Global Exposure Mortality Model » (GEMM), il permet une analyse plus poussée que le « Global Burden of Disease » (« fardeau mondial de morbidité ») utilisé par l’OMS. Le GEMM s’appuie sur pas moins de 41 études de cohortes menées dans seize pays et combine trois séries de données : niveaux d’exposition à la pollution, densité et âge des populations, effets sanitaires.
Avec 2,8 millions de morts, c’est la Chine qui paie le plus lourd tribut. En Europe, ce classement est dominé par le pays le plus densément peuplé, l’Allemagne, avec 124 000 décès prématurés par an. Soit 154 décès pour 100 000 habitants, ce qui correspond à une perte d’espérance de vie de 2,4 années. Avec 105 morts pour 100 000 habitants (1,6 année d’espérance de vie perdue), la France se situe au niveau du Royaume-Uni (98 décès et 1,5 année d’espérance de vie perdue).
De manière générale, la surmortalité attribuée à la pollution de l’air en Europe (133 morts pour 100 000 habitants) est supérieure à la moyenne mondiale (120), constatent les chercheurs. « Cela tient à la combinaison d’une piètre qualité de l’air et d’une forte densité de population qui aboutit à une exposition parmi les plus élevées du monde », décrypte Jos Lelieveld, de l’Institut Max-Planck de chimie.

Protection insuffisante

Autre conclusion forte de l’étude : contrairement à ce que l’on pourrait penser, les principales causes de décès liées à l’exposition à un air toxique ne sont pas à chercher du côté des maladies du système respiratoire, comme le cancer du poumon, mais des pathologies cardiovasculaires.
Les scientifiques estiment ainsi qu’entre 40 % et 80 % de ces décès sont dus à des infarctus et à des accidents vasculaires cérébraux (AVC). Les particules fines ne s’arrêtent pas aux voies respiratoires mais pénètrent profondément dans l’organisme par le système sanguin jusqu’au cœur et au cerveau. Les auteurs rappellent que l’exposition à long terme aux PM2,5 augmente de 13 % les risques de développer des pathologies coronariennes par palier de 5 microgramme (µg)/m3.
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Aujourd’hui, l’UE fixe une limite annuelle d’exposition de 25 µg/m3. Largement insuffisant pour protéger la santé des Européens, tranchent les chercheurs. L’OMS recommande d’ailleurs de ne pas dépasser le seuil de 10 µg/m3. Certains pays, comme les Etats-Unis, s’en rapprochent (12) et d’autres, comme l’Australie, ont des seuils encore plus protecteurs (7).
Il est urgent que l’Europe aligne sa réglementation sur celle de l’OMS, estiment les chercheurs, qui invitent également l’organisation onusienne à revoir son propre seuil à la baisse. Dans l’idéal, le niveau d’exposition aux PM2,5 ne devrait pas dépasser 2 à 3 µg/m3. On en est très loin. Les discussions en cours dans le cadre de la révision de la directive européenne sur la qualité de l’air visent seulement un passage de 25 à 20 µg/m3.

Limites recommandées non respectées

Pour les auteurs, une amélioration de la situation ne passe pas seulement par des normes plus ambitieuses mais aussi et d’abord par l’abandon d’un modèle de développement fondé sur les énergies fossiles. « Dans la mesure où la plupart des particules fines et des autres polluants de l’air en Europe proviennent de la combustion des énergies fossiles, il est urgent de passer à d’autres sources d’énergie, propres et renouvelables », plaide le professeur Lelieveld.
Avec ses collègues, il a tenté d’évaluer le bénéfice escompté de la réduction des émissions de carbone nécessaire pour rester sous la barre des 2 degrés de réchauffement climatique de l’accord de Paris. « Nous pourrions réduire les taux de mortalité liés à la pollution de l’air en Europe jusqu’à 55 % », s’enthousiasme le professeur Lelieveld.
Pour Maria Neira, directrice à l’OMS, « ce serait déjà un grand pas si les normes actuelles étaient respectées par les pays et les villes car plus de 90% de la population mondiale respire aujourd’hui un air qui ne respecte pas les limites recommandées pour protéger la santé ».