Pourquoi Brussels Airlines craint le survol de Bruxelles

Bernard Gustin (Brussels Airlines) sur le plan de survol de Bruxelles : «Il faut un plan d’union nationale»

Le Soir + ERIC RENETTE – 10/02/2017

Brussels Airlines craint le survol de Bruxelles. La compagnie est peu exposée aux risques d’amendes pour ses avions très matinaux. Mais elles pourraient influencer le rôle de hub de Bruxelles.

Le grand rendez-vous de Bernard Gustin, le patron de Brussels Airlines, ce n’est pas le 22 février et l’éventuelle activation des amendes de la Région bruxelloise contre les dépassements des normes sonores mais le 15 février, date du 15e anniversaire de la compagnie « nationale » Brussels Airlines, passée à 100 % sous le pavillon allemand de Lufthansa depuis ce début 2017. Mais c’est la perspective du 22 février qui fait le plus de bruit…

Que va-t-il se passer le 22 février pour Brussels Airlines, s’il y a activation des amendes contre les dépassements des normes sonores.

A priori, rien. Il faudra déjà voir si elles sont activées et activables. Entre 6 et 7 heures du matin, nous n’avons que 5 départs dont un seul avion susceptible de recueillir des amendes. Nous sommes nettement moins exposés aux départs très matinaux que les compagnies low cost. Mais le problème des amendes peut aussi se poser en journée puisque tout peut varier en fonction du vent et des circonstances. Le lundi, on va décoller et suivre la route qu’on nous dit de suivre (nous ne décidons pas où nous volons, je le rappelle) et tout ira bien. Le mardi, en suivant la même route, on va se retrouver pénalisé parce que les vents sont différents. C’est comme si un policier vous oblige à prendre un sens unique parce que le trafic est bouché puis que, de l’autre côté de la rue, un autre policier vous met une amende parce que vous avez pris un sens unique.

Mais le problème n’est pas sans incidences sur votre fonctionnement ?

Nous fonctionnons avec un réseau et suivons une logique de hub à Bruxelles. Les longs courriers arrivent d’un peu partout dans le monde entre 6 h et 7h du matin. Entre 7h et 8h, les vols intra-européens arrivent et décollent avec, entre autres, les passagers qui sont descendus des longs courriers et ceux qui vont repartir avec. Puis les longs courriers repartent avec, à bord, 50 à 60 % des passagers qui ne viennent pas de Bruxelles ou des environs. Si on doit rectifier les activités autour de 7 heures du matin, on met en danger tout le système de hub sur Bruxelles.

Pour les compagnies aériennes, pour les responsables de l’aéroport comme pour les politiques, la situation est compliquée. Existe-t-il un moyen d’en sortir ?

Il faut un grand plan d’union nationale pour montrer qu’on va régler le problème à une certaine échéance, sans empêcher la croissance de l’aéroport. Ensuite, il faut une transparence sur les décisions et leurs implications. Trois, il faut un travail au jour le jour pour réduire les nuisances. On a déjà commencé avec l’application des atterrissages continués. Quatre, il faut rétablir un lien entre Bruxelles, les Bruxellois et leur aéroport. On fait partie d’un secteur avec de belles perspectives d’emploi, on est une des belles promesses en Belgique avec un outil magnifique, l’aéroport national qui a un rôle primordial sur une économie connectée comme la nôtre. On a besoin d’un aéroport et nous n’avons pas les sous pour en construire un autre. Si on compare avec Amsterdam ou Zürich, qui n’ont pas la moitié de nos atouts, leurs aéroports sont deux fois plus grand et ils font la fierté de leur pays. Est-ce qu’en Belgique on ne se rend pas compte des atouts qu’on a ? Notre marché n’a rien à voir avec celui d’Amsterdam ou de Zürich puisqu’en plus on est la capitale de l’Europe ! On a une infrastructure de qualité, un opérateur national adossé à un groupe important et l’aéroport est proche de la ville, ce qui est aussi un atout. Il est temps d’avoir une unité nationale autour du plus grand créateur d’emploi du pays qui assure la connectivité du pays.

Les gens vont-ils le croire ?

Quand on a ce plan général, il faut montrer qu’il aura bien lieu, être clair sur les investissements, l’agenda, qui va faire et payer quoi car si on arrive à cette solution, il est très important de dire et de montrer « on va le faire ». Et ce serait utile qu’on mette des pilotes dans le processus pour expliquer ce qui est possible ou pas.

Dans notre lasagne institutionnelle, le fédéral est-il assez fort pour obtenir un tel résultat ?

Oui, le fédéral est assez fort s’il démontre qu’il cherche vraiment à proposer une solution et que les Régions ont aussi intérêt à sortir du problème.

Un des problèmes, dans ces cas-là, généralement, c’est qui va payer ?

Je ne crois pas que l’investissement soit le problème. Il y a des solutions mais il faut d’abord se mettre d’accord.

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Un nouvel argument surprenant de Kris Peeters

PIERRE VASSART – 9/02/2017

Le ministre fédéral de l’Economie a écrit à la ministre bruxelloise de l’Environnement pour l’informer d’une directive européenne qu’elle n’aurait pas respectée, et qui invaliderait l’application des normes de bruit bruxelloises. Céline Fremault s’étonne ce nouvel argument, qu’elle juge a priori non pertinent.

S’il est un dossier belge qui, pour reprendre une expression à la mode, cumule les « vérités alternatives » depuis une éternité, c’est bien celui de l’aéroport de Zaventem. Dernier épisode en date, comme le rapportait jeudi La Libre, ce courrier adressé par le ministre fédéral de l’Economie Kris Peeters (CD&V) à la ministre bruxelloise de l’Environnement Céline Fremault (CDH) à propos des normes de bruit bruxelloises, figées depuis 1999 dans un arrêté régional. Pour rappel, ces normes fixent un plafond d’intensité sonore pour les avions qui survolent la capitale, réparti selon trois zones distinctes, aux limites plus sévères à mesure qu’on s’éloigne des pistes.

Selon ce courrier, une directive européenne exige que toute nouvelle réglementation qui contient des « spécifications techniques » doit être notifiée à la Commission européenne, explique La Libre. Or la Région bruxelloise ne se serait pas exécutée, tant pour l’arrêté relatif aux normes de bruit de 1999 que pour un autre arrêté régional de 2002 qui définit les caractéristiques des sonomètres utilisés pour mesurer l’intensité de ces bruits. En conséquence, ajoute Kris Peeters, ces deux arrêtés pourraient être déclarés inapplicables. Le temps que la Région bruxelloise s’exécute – et c’est via le Service public fédéral de l’Economie qu’elle serait censée le faire – accorderait dès lors un répit de trois à six mois au gouvernement fédéral avant que le gouvernement bruxellois mette effectivement fin à la tolérance qu’elle applique depuis 1999 pour les avions qui dépassent les normes de bruit au-dessus de la capitale.

On le sait, le gouvernement bruxellois avait annoncé en septembre dernier que cette tolérance ne serait plus d’application dès le 1er janvier de cette année. En réaction, la Flandre avait introduit une action en conflit d’intérêts, ce mécanisme prévu par la Constitution qui permet à une Région de tirer un « signal d’alarme » lorsqu’elle estime qu’une décision d’une autre Région est susceptible de lui nuire. La mise en œuvre de cette procédure suspend de facto la décision incriminée pour 60 jours, et entraîne la réunion d’un comité de concertation présidée par le Premier ministre. Dans ce cas-ci, une réunion de concertation avait bien eu lieu le 25 janvier dernier, sans résultat. La période suspensive prenant fin le 22 février prochain, le Premier ministre s’était engagé à organiser une nouvelle réunion avant cette date : elle aura lieu le 21. Mais depuis, voilà donc la nouvelle boule que le gouvernement fédéral a trouvée à balancer dans le jeu de quilles bruxellois.

Au grand étonnement de Céline Fremault. Car si ses juristes prennent encore le temps d’analyser les arguments de Kris Peeters, la directive européenne invoquée (la directive 2015-1535, précise le cabinet de la ministre) concerne « les règlements techniques que les Etats membres entendent adopter concernant les produits (industriels, agricoles et de la pêche) et les services de la société de l’information avant leur adoption », selon le site web de la Commission européenne. La relation entre cette directive et le bruit des avions paraît donc pour le moins discutable. D’autant que l’arrêté bruxellois de 1999, attaqué à maintes reprises, a été validé à tous les niveaux de justice, y compris par la Cour de justice européenne, rappelle-t-on au cabinet de la ministre. Et la décision de mettre un terme à cette période de tolérance de « plus de quinze ans » a encore été validée par le Conseil d’Etat en octobre dernier. Ce nouvel argument n’a en outre jamais été évoqué, pas même par les compagnies aériennes ou Brussels airport, la société exploitante de l’aéroport de Zaventem, dans leurs procédures visant à contraindre la Région bruxelloise à maintenir la tolérance par rapport à ses normes de bruit, ajoute-t-on.

Manœuvre dilatoire

Cette manœuvre dilatoire est donc peu susceptible de permettre au gouvernement fédéral de prolonger le sursis. En attendant, la petite Bruxelles continue à tenir bon, malgré les énormes pressions venues du Nord. Et le lobbying intense de Brussels Airport, qui fait peser la menace de la perte de plusieurs milliers d’emplois aux côtés des syndicats « transport » et même du groupe des Dix (qui réunit syndicats et patronat), les menaces de délocalisation de trois compagnies cargo ou du gel du développement des compagnies passagers (Ryanair, il y a deux jours) n’y changent rien. En vue de préparer le comité de concertation du 21 février, une réunion technique est prévue entre les cabinets ministériels concernés ce vendredi matin.

Préparant le terrain, le Premier ministre Charles Michel (MR) a indiqué vouloir tout faire pour « rapprocher les points de vue ». La ministre Céline Fremault se dit depuis longtemps ouverte à la négociation. Et regrette, depuis longtemps, qu’elle n’ait pas même été entamée.

«Brussels Airlines pèsera sur le modèle d’Eurowings»

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ÉRIC RENETTE – 9/02/2017

Brussels Airlines est aujourd’hui intégrée à 100 % dans la filiale Eurowings du Groupe Lufthansa. Qu’est-ce que ça change ?

L’intégration dans Lufthansa sert à atteindre nos objectifs mais n’est pas un but en soi. Ça va nous donner une palette d’outils pour augmenter notre part de marché, être plus profitable, mieux servir les passagers, investir, s’améliorer techniquement, réduire les coûts.

C’était impossible avec Lufthansa actionnaire à 45 % ?

La différence entre 45 et 100 %, c’est la même qu’entre être un ami ou faire partie de la famille. Pour le renouvellement de notre flotte long-courrier, Lufthansa ne proposera plus de nous aider à analyser le marché comme un ami à qui on prodigue des conseils. Ils feront directement la tractation, en bénéficiant des tarifs et moyens du groupe. On dépend aussi beaucoup des forces de vente de Lufthansa, aux États-Unis. On en profitait par « amitié ». Aujourd’hui, le succès de Brussels Airlines fait partie des objectifs des responsables des ventes, ça change tout.

Ce qui a heurté, c’est de voir Brussels Airlines intégrée dans la filiale Eurowings, pas dans Lufthansa.

Bruxelles n’est pas un hub à 360 degrés qui couvre l’ensemble du monde. Nous sommes beaucoup plus exposés à la concurrence des low cost mais nous sommes incontestablement un hub. Dans le groupe Lufthansa, Eurowings est en pleine définition de son modèle. L’arrivée de Brussels Airlines va accélérer cette mutation. On représentera un tiers des activités, donc on pèsera sur ce modèle en construction, on aura notre mot à dire. Avec nos 40 millions de bénéfices, qu’est-ce qu’on pèserait face aux 400 millions de Swiss et au 1,8 milliard de Lufthansa ?

Eurowings, c’est 4.750 personnes pour environ 120 avions. Brussels Airlines c’est 3.500 personnes pour 50 avions. Difficile de croire que l’un n’influencera pas l’autre.

Ils ont peu d’avions long-courrier, nous en avons 10, ce qui mobilise plus de monde. On a 400 personnes qui travaillent en Afrique, ce n’est pas comparable. Pour l’emploi, notre objectif, c’est de croître. Il n’augmentera sans doute pas aussi vite que certains aspects commerciaux mais il grandira. La composition des équipes sera-t-elle toujours la même ? Sans doute non. Est-ce que ce seront les mêmes départements ? Il y a aura peut-être plus de monde dans certains et moins dans d’autres. Est-ce qu’il y aura des mouvements à l’intérieur de l’entreprise ? Bien sûr, comme il y en a toujours eu dans le passé.

Brussels Airlines bénéficiait d’une aide fédérale (15 millions par an). Devenue allemande, va-t-elle encore pouvoir en profiter ?

Brussels Airlines est et reste une compagnie aérienne belge, inscrite et opérant en Belgique, même si son actionnaire est allemand. Je rappelle qu’auparavant, le poids des Belges dans l’actionnariat c’était environ 30 %. L’aide fédérale était liée à un arrêté royal valable trois ans (2013, 2014, 2015). Nous n’avons rien reçu en 2016. Il visait à éliminer une discrimination contre une concurrence qui, grâce à une sécurité sociale plus avantageuse, fait voler des équipages sur les mêmes routes que nous mais 30 % moins cher. Cette discrimination existe toujours. Je suis donc toujours demandeur d’une intervention soit pour éliminer cette discrimination, soit pour la compenser.