Voir et penser à long terme : mission impossible en Belgique ?

Dieu sait si nous n’avons guère de sympathies pour l’ancien ministre
fédéral de la mobilité Bert Anciaux, père spirituel de la catastrophique
politique de dispersion, mais nous ne pouvons que nous étonner de son
« lynchage » général, tant par la presse que la classe politique flamande et
francophone, pour avoir formulé l’idée de remplacer l’aéroport de Zaventem
par un site olympique. Les actuels détracteurs de Bert Anciaux n’ont pas
crié aussi fort quand ladite politique de dispersion a été mise en oeuvre.

Pourquoi la proposition de M. Anciaux fait-elle pousser des cris d’orfraie
en Belgique, alors qu’un projet similaire a été réalisé récemment à
Athènes, sans que personne là-bas n’ait trouvé à y redire ? En 2001 a été
inauguré le nouvel aéroport de Spata, à 30 km d’Athènes, relié à celle-ci
par une nouvelle autoroute et une nouvelle de ligne de métro rapide, une
partie de ces travaux ayant bénéficié d’un financement de la Banque
européenne d’investissement (BEI). Et les installations des Jeux
olympiques de 2004 ont été édifiées sur le site de l’ancien aéroport.
Entre le moment où a germé l’idée d’un nouvel aéroport pour Athènes en
1978, sous le gouvernement des colonels, et l’aboutissement du projet
juste avant les Jeux olympiques d’Athènes : un quart de siècle. Du long
terme.
Les ex-ministres Bert Anciaux et Isabelle Durant ont ceci en commun qu’ils
ont tous deux mis en lumière (chacun à sa façon) le problème cornélien —
qui date de bien avant 1999 — de l’implantation de l’aéroport de Zaventem
et des vols de nuit. De plus en plus de voix s’élèvent pour demander une
réflexion à long terme sur l’avenir possible de cet aéroport, réunissant
toutes les parties prenantes (pilotes, professionnels du secteur
aéronautiques, citoyens, politiques, etc.), mais il est apparemment mal vu
de voir et penser à long terme en Belgique, où il faudrait se contenter
d’expédier les affaires courantes sans se poser de questions, le nez sur
le guidon jusqu’aux prochaines élections…

Alors que le problème des nuisances aériennes à Bruxelles reste sans
solution durable avec quelque 250.000 mouvements, Biac (alias MacQuarie
Airports) vise néanmoins les 450.000 vols annuels (rentabilité d’une
entreprise privée oblige). Et l’absence de solution satisfaisante
n’empêche pas de poursuivre des investissements massifs dans les
infrastructures ferroviaire et routière. Un accord aurait été conclu entre
les régions pour ne pas remplacer les créneaux de nuit de DHL après 2008,
mais cet accord, personne ne l’a vu noir sur blanc, et il restera de toute
manière un nombre encore important de vols de nuit même après le départ de
DHL…

Pourquoi diable affirme-t-on que le fait de déplacer une infrastructure à
40 ou 50 km de Bruxelles mettrait en péril des milliers d’emplois ? Est-ce
parce que la Wallonie, même à proximité de la frontière linguistique,
c’est déjà un peu (trop) l’étranger ? La France et Lille sont demandeurs
d’un 3ème grand aéroport : est-il tabou d’envisager des formules de
partenariat et des synergies au sein de l’Union européenne ? Les aéroports
de Francfort et de Munich fonctionnent actuellement en binôme alors qu’ils
sont distants de 300 km : pourquoi serait-il impossible de scinder les
activités de l’actuel aéroport de Zaventem : vols d’affaires
intra-européens de jour d’un côté, fret de l’autre ? Pourquoi faut-il à
tout prix maintenir des opérations de fret (les plus bruyantes, tant de
jour que de nuit) à l’aéroport de Zaventem, tout près d’une ville d’un
million d’habitants comme Bruxelles, alors que la majeure partie des
marchandises ne fait qu’y transiter (principe du hub) ?

Combien de personnes en Belgique (y compris des ministres) font des
déplacements de plus de 50 km chaque jour pour se rendre à leur travail ?
Oslo, Munich, Paris, Washington DC ont délocalisé leur aéroport
international. Lisbonne et Berlin sont en train de le faire. Et puis il
n’y a pas que les Bruxellois qui prennent l’avion à l’aéroport de Zaventem
: des gens y viennent d’Antwerpen, Bruges, Namur ou Arlon. Partout dans
le monde, les passagers des vols internationaux (qui ne prennent quand
même pas l’avion tous les jours) ne trouvent rien d’anormal à parcourir
quelques dizaines de km pour prendre leur avion. Si des connexions
rapides avec Bruxelles et les autres capitales voisines sont mises en
place pour les passagers internationaux, ces connexions seront également
utilisables par les employés de l’aéroport…
Faut-il enfin rappeler que la construction, les agrandissements et les
modernisations de l’infrastructure aéroportuaire de Bruxelles-National ont
été financés par tous les contribuables belges depuis les années 50
jusqu’à sa privatisation et que dès lors cet aéroport n’appartient à
aucune région ?