Zaventem au fond de l’impasse

Le Vif Express dénonce les aléas de Zaventem Airport qui n’ont plus rien à voir avec le bon sens, mais tout avec la politique politicienne.

Le jeu des acteurs politiques

Olivier Rogeau – Le Vif Express – 07-04-2006

Au fédéral, les négociations sur les nuisances sonores réunissent les experts des cabinets du Premier ministre, des vice-Premiers (Onkelinx, Reynders, Dewael, Van den Bossche) et de Renaat Landuyt (Mobilité). Verhofstadt reste en retrait, laissant le cabinet Dewael défendre la position du VLD dans les discussions. Les deux partis francophones de la majorité restent le plus souvent au balcon pour des raisons différentes : le MR cherche à exploiter tout ce qui peut affaiblir le gouvernement bruxellois, dont il ne fait pas partie ; le PS, lui, est peu pressé de sortir du bois, les nuisances touchant surtout des bastions libéraux. Renaat Landuyt (SP.A), qui se dit « coincé » par des décisions de justice contradictoires, joue un jeu ambigu. Son très influent chef de cabinet, Jan Cornillie, dirigeait déjà le cabinet de la Mobilité sous Bert Anciaux (SP.A-Spirit), initiateur du plan de dispersion qui accable Bruxelles et l’Oostrand (l’est de la capitale, majoritairement francophone) et soulage le Noordrand (au nord), fief électoral d’Anciaux.

Au gouvernement flamand, Anciaux continue à intervenir dans le dossier des avions en tant que ministre des Affaires bruxelloises. Habitué des coups de gueule et défenseur toujours aussi acharné de la dispersion totale, il estime que la Région bruxelloise n’a plus à être consultée dans cette affaire. Au sein de son cabinet, un conseiller, Alfons Roebben, ancien de Biac, s’occupe du lobbying en faveur de la dispersion.

Au gouvernement bruxellois, Charles Picqué (PS), le ministre-président, ne cache pas son amertume : fin octobre 2005, les représentants flamands au sein de la majorité bruxelloise, « conditionnés » par le CD&V, ont menacé de quitter le gouvernement si celui-ci réclamait le paiement d’astreintes (25 000 euros par avion) pour infraction aux normes de bruit bruxelloises. Désormais, Picqué évitera sans doute tout geste qui le ferait apparaître comme le responsable d’une crise institutionnelle à Bruxelles. Evelyne Huytebroeck, ministre bruxelloise Ecolo en charge de l’Environnement, a toujours pris soin d’intervenir en tandem avec Picqué, de crainte de se retrouver isolée.

Le gouvernement wallon n’a pas été associé aux négociations, alors que le Brabant wallon souffre lui aussi les nuisances sonores. Serge Kubla (MR), qui s’est désintéressé du dossier quand il était ministre, en fait aujourd’hui son cheval de bataille, fédérant autour de lui des bourgmestres. En charge de la politique aéroportuaire, le ministre wallon André Antoine (CDH) est avant tout soucieux du développement de Liège-Bierset et de Charleroi qui, selon lui, pourraient accepter des vols pour réduire le trafic à Zaventem.

Zaventem, au fond de l’impasse

NUISANCES SONORES : des solutions

C’est un feuilleton interminable. Au scénario toujours plus emberlificoté, avec ses premiers rôles et ses figurants. Dans le désordre : des ministres fédéraux et régionaux plus ou moins concernés, des juges francophones et néerlandophones prenant des décisions contradictoires, des experts en aéronautique, des pilotes, des contrôleurs aériens, des riverains… « La gestion aéroportuaire de l’Etat belge dépasse l’entendement, reconnaît l’un des acteurs de la saga des nuisances sonores de Bruxelles-National. Rarement on a laissé pourrir un dossier aussi longtemps et jamais on n’a vu une politique gouvernementale autant attaquée devant les tribunaux ! »

Dernier épisode en date de cette comédie qui casse les oreilles de milliers de citoyens survolés : le Conseil d’Etat a rendu, le 4 avril, un nouvel avis sur le projet de loi du ministre fédéral de la Mobilité Renaat Landuyt (SP.A). Il serait « globalement positif » d’après Jan Cornillie, chef de cabinet du ministre, mais, selon d’autres sources, ce serait plutôt un avis « mitigé ». Le projet de loi fixe le processus de modification des procédures de vol : étude de sécurité, consultation de plusieurs instances d’avis… Objectif : contourner les décisions de justice qui ont donné raison aux riverains et éviter ainsi le paiement d’astreintes par l’Etat. La loi prévoit qu’un arrêté royal déterminera les procédures à appliquer avant d’éventuelles modifications. « Cette inversion des priorités équivaut à donner un chèque en blanc à Landuyt, déplore un membre de l’Ubcna, une association de défense des riverains. L’approbation de la loi nécessite un accord préalable sur la réorganisation des vols. » En clair, le ministre tente de bétonner le plan actuel de dispersion des nuisances, défavorable à Bruxelles et à sa périphérie est.

Appliqué depuis avril 2004 pour les vols de jour et de nuit, le plan Anciaux (du nom de l’ancien ministre fédéral de la Mobilité), qui ne tient pas compte de la densité des quartiers survolés, a fait exploser les plaintes des riverains. Il a aussi été dénoncé par le chef des contrôleurs aériens de Zaventem et par l’association des pilotes belges (BeCA), qui le considèrent comme un choix politique, ne garantissant pas la sécurité du trafic. De légers amendements ont atténué quelque peu les nuisances. Toutefois, de plus en plus de voix, du côté francophone, réclament un retour au plan d’utilisation des pistes qui prévalait avant l’adoption du plan de dispersion. Ce qui, d’après la Région bruxelloise, devrait provoquer moins de conflits.
Alors que les négociations entre les Régions et le pouvoir fédéral en vue de réaménager les routes aériennes s’enlisaient, toutes les tentatives pour sortir le dossier de l’impasse se sont révélées vaines. « Il existe pourtant des solutions simples pour limiter les niveaux de bruit et réduire considérablement le nombre de personnes survolées », note un expert. Mais Landuyt ne veut pas entendre parler des pistes de réflexion lancées par Bruxelles et le service de médiation de l’aéroport. Quelques-unes de ces propositions auraient pourtant soulagé à la fois la capitale, les communes flamandes et celles du Brabant wallon, elles aussi touchées par les nuisances des avions depuis l’application du plan de dispersion. Une réduction du niveau sonore nocturne permettrait ainsi d’interdire de vol certains appareils trop bruyants (MD 11, Airbus A-300…). Autre idée : instaurer, entre 6 et 8 heures du matin et en soirée, des périodes où les nuisances seraient plus limitées qu’en journée. Les Boeing-747 et autres DC-10 devraient ainsi attendre 8 heures du matin pour décoller et devraient quitter Zaventem avant 21 heures.

Le médiateur francophone de l’aéroport, Philippe Touwaide, constate que les avions ne respectent pas toujours les trajectoires prévues, ou encore que des appareils proscrits la nuit violent cette interdiction… « Seule une autorité de contrôle indépendante, disposant d’un budget propre, permettrait de surveiller les compagnies aériennes et les organismes qui gèrent le trafic », estime-t-il. Landuyt veut, certes, mettre sur pied un Institut de gestion des nuisances sonores (IGNS), qui sera chargé d’établir une cartographie du bruit des avions autour du site. Mais l’IGNS n’aura aucun pouvoir de contrainte et aura pour objectif la « stabilisation » du bruit, non sa réduction.

Une certitude : plus le temps passe, plus la proximité des élections communales d’octobre pollue le débat. Et plus semble se confirmer le scénario selon lequel certains, au Nord, refusent toute solution de compromis équilibrée pour que le dossier des nuisances sonores puisse servir de monnaie d’échange lors des négociations institutionnelles de 2007, quand la Flandre ressortira du frigo une autre bombe à retardement : la scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde.

Olivier Rogeau