Le chevalier blanc de la confection américaine débarque

On entend souvent dire de façon fataliste que l’industrie de la confection, gourmande en main-d’œuvre, n’a plus d’avenir dans nos pays occidentaux. Qu’il est impossible de concurrence les régions à bas salaires comme la Chine, l’Europe de l’Est et l’Amérique latine. Une chaîne de vêtements 100% américaine est pourtant sur le point de prouver le contraire.

Jean-François Munster

American Apparel est un vrai phénomène outre-Atlantique. Inexistante il y a six ans de cela, elle devrait réaliser cette année un chiffre d’affaire de 250 millions de dollars. À l’heure où toute l’industrie de la confection américaine s’est effondrée et a délocalisé ses usines au Mexique ou en Chine, l’entreprise emploie 3.800 ouvriers en plein centre de Los Angeles (et 5.000 personnes au total). C’est sans doute la plus grande usine de vêtements des Etats-Unis et d’Europe occidentale, affirme son emblématique patron Dov Charney.

La société a fait du respect de ses travailleurs une de ses marques de fabriques. Et ça marche. Nous payons 13,5 dollars de l’heure alors que la moyenne du secteur de L.A. doit être de 7 dollars, nous a-t-il expliqué, sans parler du salaire de l’ouvrier chinois. Les employés bénéficient en outre d’assurances soins de santé, de cours d’anglais (la majorité des ouvriers est hispanique), de tarifs réduits pour les transports en commun… American Apparel ne manque jamais de rappeler son statut « sweatshop free », c’est-à-dire son refus de sous-traiter la production à des ateliers du tiers monde où on exploite pour un salaire de misère une main-d’œuvre docile. Produire la marchandise à l’autre bout du monde parce que c’est plus facile d’exploiter les gens là-bas est tout simplement insensé, clame Dov Charney. Mais l’aspect éthique n’est pas le plus important pour lui, reconnaît-il. Nous voulons produire des vêtements chouettes et de qualité que les gens ont envies de porter, c’est ça notre métier.
Originaire de Montréal, ce moustachu excentrique a toujours eu l’âme d’un business man. Lorsqu’il était adolescent, il revendait déjà des T-Shirt à l’extérieur des salles de concert de sa ville. Plus tard, lors de ses études supérieures, il importait revendait des T-Shirt américains qu’on ne trouvait pas au Canada. Il a créé sa première entreprise de vêtements en Caroline du Sud avant de tout abandonner pour Los Angeles, l’une des capitales de la mode US. Aujourd’hui, à 36 ans seulement, il est l’un des patrons américains les plus en vue. Ce souci d’allier responsabilité sociale et business lui a valu de nombreuses marques d’intérêt. Il a notamment été nommé en 2004 « Entrepreneur de l’année » aux Etats-Unis par la société d’audit Ernst&Young.

Il se veut le porte-drapeau d’une nouvelle façon de faire des affaires, d’un capitalisme où la diminution des coûts salariaux n’est plus l’obsession principale. Nos vêtements ne sont pas plus cher que ceux de la concurrence, explique-t-il. En ayant recours à la sous-traitance, vous allongez considérablement votre cycle de production, vous perdez le contrôle sur le produit, vous avez des erreurs, des imprécisions. Chez American Apparel, nous sommes tout à fait intégrés verticalement. Les designers travaillent directement dans l’usine avec les ingénieurs de production. Notre manière de produire est beaucoup plus efficace, le design est plus précis. Tout peut aller très vite, entre le moment où nous dessinons le vêtement et le moment où il sort de l’usine, ce qui nous permet d’avoir une gestion de nos stocks optimale. Nous pouvons être très réactifs sur le marché et coller aux modes. C’est faux de croire que, parce qu’on sous-traite en Chine, tout ira bien. Je connais beaucoup de société qui sont allées là-bas et qui ont fait faillite.

Branchés et bon marché, les T-Shirts, shorts, bikinis et chemises colorées d’American Apparel font de plus en plus d’émules aux Etats-Unis et au Canada, même si l’entreprise s’est récemment fait remarquer pour une campagne de pub porno-chic controversée. Elle exploite 60 magasins et mise maintenant sur l’expansion internationale avec des magasins au Japon, au Mexique et partout en Europe. Nous voulons dépasser le cap des 100 magasins dans 15 mois, explique-t-il. Nous comptons faire 30 ouvertures en Europe qui viendraient s’ajouter aux cinq boutiques que nous possédons déjà (Paris, Londres, Berlin). Cette expansion passerait notamment par la Belgique, a confirmé Dov Charney. Il y en aura au moins une ouverture en Belgique.