Précaution aérienne

Mieux vaut avancer à petits pas, en ordre dispersé, que faire du surplace. Ce pourrait être l’une des principales leçons de l’interdiction en urgence par plusieurs pays européens, durant le week-end, des activités de la compagnie aérienne turque Onur Air. C’est la conséquence directe de la catastrophe de Charm el-Cheikh, le 3 janvier 2004 ­ le crash d’un Boeing d’une compagnie charter, Flash Airways ­, qui avait fait 148 morts.

Deux pays de l’Union européenne, la France et l’Allemagne, ainsi que la Suisse, ont appliqué sans tergiverser le principe de précaution dès qu’ils ont appris que les Pays-Bas avaient suspendu, sur leur territoire, les activités d’Onur Air. La première compagnie turque privée se voit reprocher des manquements à ses obligations de sécurité.

Voilà pour l’aspect positif des choses. Ce premier pas vers une Europe des transports sûrs est loin d’être négligeable, même si ce dossier montre aussi tout le chemin qui reste à parcourir. Depuis le 30 avril 2004, une directive européenne (qui sera en vigueur d’ici à 2006) impose de signaler tout incident survenu à un appareil d’une compagnie extérieure à l’UE. Mais pour le reste, coopération et coordination progressent de façon très laborieuse.

La politique de sécurité aérienne reste très largement du ressort des autorités nationales. L’impulsion, pour les mesures prises contre Onur Air, n’est pas venue de l’Union, mais de certains Etats membres. Ainsi la Belgique n’a pas considéré qu’elle devait se joindre au mouvement de ses voisins. Le commissaire français aux transports, Jacques Barrot, soulignait à juste titre en décembre 2004 les « grandes disparités nationales » et le fait que « parfois (…) ce ne sont pas les standards les plus élevés qui sont appliqués ». L’Europe, qui affirme mettre les intérêts des consommateurs au centre de ses préoccupations, n’est donc toujours pas opérationnelle dans un domaine essentiel.

En outre, cette interdiction s’est faite dans la confusion. Des milliers de passagers se sont retrouvés bloqués sans préavis. Plus grave encore, le tour-opérateur qui recourait aux services d’Onur Air n’aurait pas hésité à profiter de l’attitude de la Belgique pour contourner l’interdiction en envoyant des passagers à l’aéroport de Charleroi, sans les prévenir des raisons de ce détour. Espérons que les pouvoirs publics sanctionneront sévèrement cette attitude si elle était avérée.

Enfin, il n’est pas indifférent que la compagnie visée soit l’une des principales compagnies turques. Cette défaillance confirme que la Turquie, elle aussi, a encore beaucoup de chemin à parcourir avant d’être en conformité avec les standards européens. Ce n’est ni lui faire injure ni participer à un complot que d’attendre d’elle, puisqu’elle aspire à rejoindre l’Union, des explications convaincantes et une enquête réelle sur les faits. Ankara doit comprendre qu’elle ne saurait s’en tenir à sa première réaction, qui a été d’affirmer qu’il s’agissait d' »une affaire purement politique ».

Article paru dans l’édition du 17.05.05