Pourquoi vendre l’aéroport de Bruxelles-National ?

Robert van Apeldoorn

Le gouvernement a besoin d’argent. Il préfère donc vendre 30 % des parts de l’aéroport plutôt que d’attendre des temps propices pour une entrée en Bourse. Les actionnaires privés sont du même avis. Mais pourquoi Schiphol, Francfort et Copenhague s’intéressent-ils à Zaventem ?

Pas d’entrée en Bourse, hélas Source de croissance plus que de synergie

-* A l’américaine. Si les aéroports américains gèrent l’infrastructure (piste, équipement), les terminaux sont souvent construits et gérés par les compagnies. A Chicago ou Los Angeles, United Airlines ou American Airlines disposent de leurs terminaux. Schiphol contrôle un terminal à New York JFK, aéroport propriété de la Port Authority of New York & New Jersey.
-* A l’européenne. Les aéroports contrôlent les terminaux et étendent parfois très loin leur emprise. BAA (British Airports Authority) possède ses magasins tax free . Aéroports de Paris est lui-même architecte et maître d’£uvre de ses bâtiments, et vend cette compétence – il travaille pour le nouvel opéra de Pékin. Bruxelles suit une politique intermédiaire : il contrôle les pistes, les terminaux, mais concède les activités commerciales et les prestations ( handling ). Jusqu’il y a peu, il vendait l’électricité aux compagnies.

L’aéroport risque de changer de mains dans les mois à venir. Cela modifiera-t-il quelque chose pour les passagers ? Non. «C’est un aéroport qui tourne bien et utilise les méthodes de gestion moderne du secteur», estime Robert Tasiaux, vice-président au bureau de consulting AT Kearney, en charge des transports pour le nord de l’Europe.

Les raisons de la privatisation, il faut le préciser, restent avant tout financières. Le gouvernement, propriétaire à 63,56 % de Biac (Brussels International Airport Company), société qui gère l’aéroport de Bruxelles-National, souhaiterait dégager des liquidités par la vente de 30 % de ses parts. Les actionnaires privés ne seraient pas fâchés, eux non plus, de revendre leurs parts : ils disposent chacun de quelques pour cent, et regroupent plusieurs institutions financières du pays, comme KBC, Dexia, P&V et GBL. L’acquéreur peut donc convoiter jusqu’à 70 % des parts de l’aéroport.

Tel n’était pas le projet nourri il y a quatre ans par Biac. Pierre Klees, alors administrateur délégué, espérait porter la société en Bourse, mais la crise économique et aérienne de 2001 a mis ce projet sur cales. Le directeur financier, Michel Allé, tout droit venu de Cobepa, a dû ranger les classeurs IPO ( initial public offering ) alignés sur les étagères de son bureau. Dommage, car Biac est un bel exemple d’entreprise belge – «à la belge», pourrait-on dire – où le mariage du public et du privé a bien tourné, débouchant sur un aéroport moderne, que l’IATA, l’Association internationale des compagnies aériennes, a classé 3e aéroport européen pour la qualité du service et l’accueil des passagers. Il n’a donc pas besoin d’un partenaire stratégique, comme ce fut le cas de Belgacom en 1995.

L’Etat fédéral en a décidé autrement. Pour obtenir rapidement de l’argent, l’entrée en Bourse n’est en effet pas l’option la plus efficace. Les finances de l’aéroport se remettent à peine de la chute du nombre de passagers, avec un petit bénéfice net de euro 18,6 millions en 2003, contre une légère perte l’année d’avant et euro 33 millions en 2000. La vente à un investisseur a été préférée.

Les candidats ? Ils sont nombreux : les aéroports de Schiphol, de Francfort (Fraport), de Vienne et de Copenhague, le groupe français Vinci, qui gère des aéroports et des autoroutes, l’australien Macquarie, qui gère l’aéroport de Rome, entre autres.

Quel pourrait être l’intérêt de ces actionnaires nouveaux ? Que peuvent-ils apporter, et que cherchent-ils ?

Une source de croissance. C’est l’objectif le plus vraisemblable. Pour Schiphol, c’est une évidence, car l’aéroport dépend étroitement du sort de la KLM. Cette dernière a fait de l’aéroport d’Amsterdam un hub européen afin d’attirer les passagers du Vieux Continent pour ses destinations long courrier. La stratégie n’a pas réussi – d’où la fusion avec Air France. Si, dans un premier temps, le hub est maintenu à Schiphol, la pérennité n’est pas assurée à long terme. Un regroupement à Paris d’une part du long courrier serait une décision économiquement justifiée. Schiphol devra alors chercher sa croissance ailleurs, ou d’une autre manière.

«Il n’y a pas place pour beaucoup de hubs en Europe, souligne Robert Tasiaux. J’en vois trois : Londres, Paris et Francfort.» Pour proposer des tarifs attractifs, il faut disposer d’un marché intérieur fort, comme Londres et l’Allemagne, suffisant pour mettre en place un beau choix de vols long courrier rentables. Souvent, d’ailleurs, les passagers locaux paient un peu plus cher leur ticket que ceux venant des pays voisins. Ce potentiel est insuffisant aux Pays-Bas, en Suisse et, a fortiori , en Belgique, qui ont tous caressé l’idée d’une stratégie de hub , avec des résultats peu concluants.

Exporter un savoir-faire. Schiphol a un savoir-faire incontestable dans l’exploitation de toutes les dimensions commerciales d’un aéroport, du transport aérien stricto sensu à l’immobilier d’affaires, en passant par les commerces. Sur ces points, Biac est arrivé à un excellent niveau. La nouvelle jetée A est très bien organisée au plan commercial. Et des projets immobiliers sont en cours. L’apport sur ces terrains sera plutôt marginal.

Gains opérationnels. «Ils sont peu importants», affirme Robert Tasiaux. Il y a peu à gagner avec des achats groupés ou des organisations centralisées.

Diversification . Diversifier le risque est une politique sage. Racheter l’aéroport de Bruxelles pourrait s’inscrire dans cette optique. Cette logique ne joue guère pour des acquéreurs proches comme Francfort, car les cycles économiques sont identiques, mais peut jouer pour Schiphol, avec le problème du hub de KLM. Dans le cas de Biac, il y a aussi l’attrait d’un aéroport flambant neuf, où tous les investissements importants ont été consentis, qui peut transporter deux fois plus de passagers qu’aujourd’hui (15,2 millions), et où la conjoncture économique incertaine permettrait peut-être d’obtenir un prix attractif.

On compte également une autre raison, portée par la rumeur : la volonté d’étouffer la concurrence de Bruxelles. Cela semble improbable, car ce serait oublier que «ce sont les compagnies aériennes qui décident des lignes qu’elles ouvrent, pas les aéroports !», conclut Robert Tasiaux.

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