Position du F.D.F. concernant l’extension des activités de DHL
à l’aéroport de Bruxelles-National

I. Activités de DHL à Bruxelles National

L’entreprise de courrier et transport express DHL s’est installée sur le site de Bruxelles National à Zaventem en 1985. Elle emploie actuellement, sur l’ensemble du territoire belge, 6600 employés (emplois « directs ») dont 482 Bruxellois (7,3%), la majorité de la main d’œuvre provenant de la périphérie immédiate autour de Bruxelles. A ce titre, elle constitue le principal client de Belgocontrol (plus de 25% de ses revenus) et assure un peu plus de 50% des bénéfices de la BIAC. L’actionnaire unique de l’entreprise est la Deutsche Post (à 100%).

La structure de l’emploi est particulière dans ce secteur. C’est ainsi qu’au centre de tri, 50% des travailleurs prestent à temps partiel (4 heures), 60% travaillent la nuit et 75% sont des hommes (âge moyen : 33 ans), avec un total de près de 40 nationalités différentes et un « turn-over » (taux de rotation) assez élevé, de 25 à 30% du personnel par an (avec un taux élevé de contrats à durée déterminée). Sur les 482 emplois occupés par des Bruxellois, on compte 153 ouvriers, 190 employés et 139 cadres (382 hommes et 100 femmes).

Actuellement, le nombre de vols de nuit à BNA est de 20.100/an (2003), dont 16.000 (soit 80%) sont imputables à DHL. L’entreprise déclare une moyenne de 60 vols/nuit en 2003 (ce qui correspond à un tonnage moyen journalier de 1000 tonnes).

Mise sur la sellette depuis plusieurs années pour le bruit généré par sa flotte de Boeings 727, DHL a très récemment (depuis début 2001 jusque début 2003) procédé au remplacement de celle-ci par des Boeings 737, racheté à la British Airways (avions passagers reconvertis pour le fret). Il ne s’agit donc pas vraiment d’une « flotte nouvelle », contrairement à certains de ses concurrents. Il s’en est suivi une nette amélioration en terme de quota de bruit par mouvement (quota count soit QC) ; en effet, alors qu’un Boeing 727 a un QC de 12 à 20 au décollage, un Boeing 737 a un QC au décollage de 3.

Il est vrai que le permis d’environnement obtenu par la BIAC le 1.02.2000 (pour une durée de 5 ans, s’achevant donc le 1.02.2005) spécifiait que, à partir du 1.01.2003, les avions doivent avoir un QC inférieur à 12.

Ce permis d’environnement contient un certain nombre de conditions pour l’exploitation des 3 pistes de décollage et d’atterrissage de Bruxelles National (BNA). Concernant les nuisances acoustiques nocturnes (entre 23h00 et 6h00) notamment, le permis d’environnement contient 3 conditions principales, souvent rappelées :

le quota de bruit par mouvement est établi à 12
il y a des quotas de bruit par mouvement imposés par saison (« quotas saisonniers »), plans de réduction à l’appui
le nombre de mouvements nocturnes annuels (de 23 heures à 6 heures) peut s’élever jusqu’à un maximum de 25.000. Le nombre de décollages ne peut excéder le nombre relevé en 1999.

S’il est exact que la demande de services de courrier et de transport express demeure importante (1 entreprise sur 2 y fait appel quasi quotidiennement et 3 sur 4 hebdomadairement), l’analyse des statistiques du marché du fret fait apparaître une diminution constante des volumes à BNA depuis 1997 (cette diminution s’enregistre dans l’ensemble des pays européens). Ainsi, on note une chute de 12% (2002 vs 2001) à BNA. La raison est relativement simple : le fret aérien coûte cher, et la majorité des entreprises ont mis en place des solutions logistiques de gestion intégrée des ventes et des stocks pour éviter d’y recourir. A noter aussi le développement du projet TGV Fret, qui constitue pour certaines sociétés privées une réponse partielle pour certaines destinations permettant de limiter au maximum le transport aérien.

Si l’on ajoute à cela l’insécurité juridique liée au survol nocturne de Bruxelles et de sa périphérie, liée à une multitude de jurisprudences et de réglementations de niveaux de pouvoir différents, à la pluie de recours actuels ou potentiels, le contexte n’est guère favorable à un redéploiement du secteur dans l’immédiat. D’autant qu’il est de plus en plus question, à l’échelle européenne, d’une interdiction des vols de nuit au-dessus des grandes agglomérations d’ici quelques années, et que certaines villes ont refusé l’implantation de DHL (Strasbourg notamment).

Il faut également mettre dans la balance le rapport entre le nombre de personnes incommodées par les vols nocturnes à Bruxelles et dans la périphérie avec le nombre d’emplois bruxellois à DHL. En admettant même le grotesque chiffre de 12.000 personnes fortement gênées avancé par la BIAC (celle-là même qui n’hésite pas à chiffrer à 120.000 le nombre de personnes incommodées par les activités de l’aéroport de Bierset !) et repris à son compte par DHL, les 482 emplois Bruxellois (soit 4% de 12.000) font piètre figure face aux dégâts sur la santé des populations incommodées…La Région bruxelloise endosse donc la majorité des nuisances engendrées par les activités de l’entreprise pour une minorité d’emplois existants.

II. Les faces cachées du Projet Pégase

Le projet baptisé « Pégase » vise à étendre les activités de DHL en Belgique, et tout particulièrement à BNA. Il a reçu un appui circonstancié de la part de la BIAC. C’est d’ailleurs sur base du projet Pégase que s’est fondée la décision du Conseil des Ministres du 16.01.04, dite de « Petit-Leez ».

Le projet Pégase se décline en deux phases, une première allant jusque 2007 et une seconde jusqu’en 2012. Dans une certaine mesure, le projet Pégase peut être assimilé à ce que DHL appelle son projet de « très grand centre de tri » (TGCT) à BNA. Les chiffres avancés par DHL, tant en terme de croissance d’emploi que de volume de frêt, sont très séduisants et ont largement influé sur l’opinion de hauts responsables politiques. Il convient donc de les analyser. Les projections en chiffres de DHL portent sur trois éléments :

1) la croissance du volume transporté (tonnage) : celui-ci passerait de 1000 tonnes/jour (2003) à 1500 en 2007 et entre 3100 et 5000/jour en 2012. Ceci recoupe d’autres chiffres relatifs au tonnage annuel, qui passerait de 312.000 tonnes/an (2003) à 378.000 en 2007 et 781.000 en 2012. Ces projections sur le tonnage annuel sont étonnantes puisqu’elles font état d’abord d’une croissance annuelle de 5% sur la période 2003-2007, puis d’une croissance annuelle de plus de 15% sur la période 2007-2012. On ne prédit pourtant qu’une croissance du PIB général de 1 à 2% pour les années à venir… DHL réussira-t-il à redresser le secteur à lui tout seul ? (en éliminant des concurrents et donc des emplois ?). Ces projections sont en totale contradiction avec le recul constant des volumes de fret enregistrés dans ce secteur en Europe depuis 1997 : comment, dans un tel contexte, avoir projeté un triplement du tonnage ? Comment DHL entend relever l’industrie du fret aérien, seul contre les tendances du marché et des directives nombreuses qui tendent à le limiter ?

2) les nouveaux emplois directs créés : selon DHL, le projet Pégase permettra de passer de 6600 emplois directs (2003) à 7900 en 2007 et 11100 en 2012, soit 4.500 nouveaux emplois en Belgique dont 328 nouveaux emplois directs pour des Bruxellois (7,3%, pourcentage observé aujourd’hui) sur cette période.

Comparativement aux nuisances à subir (voir projections sur le nombre de mouvements par nuit), le calcul pour Bruxelles est vite fait : des dizaines de milliers de gens incommodés pour un peu plus de 300 nouveaux emplois… La Région bruxelloise serait largement perdante dans l’opération puisqu’elle hériterait d’un maximum de nuisances pour une part minoritaire d’emplois créés.

Une prévision plus optimiste encore de DHL, fonction de la croissance et du réseau intercontinental, fait état de 15.300 emplois directs en 2012 soit 8700 nouveaux emplois directs en Belgique. DHL avance également des chiffres sur les nouveaux emplois indirects, qui se chiffreraient à 11.700 d’ici 2012…et synthétise les choses en disant que le Très Grand Centre de Tri (TGCT) créera « au moins 10.000 nouveaux emplois dont 5000 directs et 5000 indirects ».

DHL est également muette sur les procédures de recrutement utilisées et surtout sur les collaborations envisagées avec les organismes publics d’emploi tels l’ORBEM, Bruxelles-Formation et le VDAB.

Il convient également de rappeler la faible « qualité » de l’emploi à DHL : travail de nuit, travail à temps partiel (4 à 6h/jour), contrats à durée déterminée, haut taux de rotation, tout cela témoignant d’un manque de bien-être des employés de la société.

3) la croissance du nombre de mouvements de vols pour la période nocturne (23h – 6h) : DHL passerait ainsi de 60 mouvements nocturnes/jour en 2003 à 80 en 2007 et à un minimum de 140 en 2012 (maximum de 220). Le nombre de vols de nuit/an, qui tourne aujourd’hui autour des 20.100 (2003) et est limité dans l’actuel permis d’environnement de BIAC à 25.000 mouvements annuels, ira donc inévitablement en augmentant, se traduisant par 23000 mouvements en 2007 et 34200 en 2012. A nouveau, ces projections ne tiennent pas compte d’une vision à long terme puisqu’en 2012-2015, on peut s’attendre à une interdiction des vols de nuit en Europe au-dessus des régions urbaines.

Ceci explique néanmoins que la BIAC a introduit le 5 janvier 2004 une nouvelle demande de permis d’environnement pour l’exploitation des trois pistes de décollage et d’atterrissage, sur laquelle la Province de Brabant flamand devrait statuer à la mi-mai 2004.

L’enjeu du nouveau permis d’environnement est important puisque :

le permis qui sera accordé peut avoir une période de validité de 20 ans
la demande de permis de BIAC implique que l’actuel permis, avec ses conditions d’exploiter, est appelé à disparaître au profit d’un nouveau permis aux conditions inconnues
il y a le risque de voir remise en cause les restrictions concernant les avions bruyants en période nocturne (qui, depuis 2003, interdisent les mouvements nocturnes pour les avions bruyants tels que B727, transcontinentaux de fret,…) ainsi que la limite à 25.000 mouvements de nuit et les quotas saisonniers de bruit
la BIAC a toujours dénié aux Régions le pouvoir de lui imposer des conditions d’exploiter en matière de bruit.

On peut à nouveau dénoncer ici la partialité consternante de BIAC et de Belgocontrol, qui s’explique d’autant mieux que, dans le rapport DHL, on voit que Belgocontrol a un chiffre d’affaires qui dépend pour 25% de DHL et que la part des bénéfices de BIAC, avant impôts, dus à DHL, est de 50%…

III. La position de l’Etat fédéral

En séance du 16 janvier 2004, le Conseil des Ministres a pris acte de la note « Projet Pégase » et a accordé à la firme DHL la garantie de réaliser son quartier général opérationnel pour son réseau européen en Belgique. L’accord de Petit-Leez précise en outre que :

jusque fin 2006, DHL est assuré d’une localisation de son centre de coordination à BNA (phase I : 2003-2007), et les besoins d’extension sont donc couverts sur le site de Zaventem, « compte tenu des limitations actuelles comme prévu dans l’accord du gouvernement » (25.000 mouvements nocturnes/an).
concernant la phase II (2007-2012), DHL a obtenu la garantie que, pour le 1.09.04, l’option I ou l’option II sera retenue, les deux options permettant une extension de DHL de manière équilibrée sur le plan économique, social et environnemental.

Les deux options sont les suivantes :

l’option I : il s’agit évidemment de l’extension à BNA, sur base d’un accord à conclure entre le gouvernement fédéral, les Régions flamande et bruxelloise, BIAC et DHL.

l’option II : DHL déménage vers un autre aéroport, dont le choix sera précisé pour le 1.09.04. BIAC, dans l’intervalle, est chargée de réaliser une étude qui prendra en compte les constats du 1er rapport général rédigé par BIAC à la demande du gouvernement fédéral (première évaluation de 8 sites potentiels), et ce avec l’aide d’un expert international et sous la conduite de la Région concernée, qui désignera ses propres experts, ainsi qu’en coopération avec DHL. L’accord de Petit-Leez insiste pour que l’étude définitive se penche sur l’extension d’un aéroport régional existant avec une attention particulière pour Bierset et Jehonville (Chièvres est donc déjà exclu) ou encore sur un site nouveau baptisé « greenfield ». On sait qu’Ostende n’est plus envisagé non plus. Bien que Chièvres dispose à l’évidence des meilleurs atouts (cf. déjà en 1992 l’étude du bureau d’études CERAU de Vandevoorde), Bierset semble plus intéressant sur le plan politique

IV. La position du FDF

La position du FDF s’inscrit dans la logique de la résolution adoptée par le Parlement régional bruxellois le 4 juillet 2003, qui postule à terme la suppression des vols de nuit au dessus de la Région bruxelloise.

Pour rappel, cette résolution demande au gouvernement fédéral :

une intervention prioritaire pour que les autorités européennes avancent rapidement vers l’interdiction des vols de nuit partout en Europe ;
l’interdiction programmée de tous les vols de nuit entre 23 h et 6 h du matin.

Etant obligatoirement associé à la prise de décision quant au choix du lieu d’extension des activités de DHL conformément à la décision prise par le Conseil des ministres à Petit-Leez, le gouvernement bruxellois est tenu de respecter la résolution adoptée à une large majorité (hors l’abstention étonnante du CDh) par le Parlement bruxellois. Il ne peut dès lors marquer son accord ni sur une dérogation quant au nombre de mouvements nocturnes autorisés à l’aéroport de Bruxelles-National, ni sur une extension des activités de DHL à l’aéroport de Bruxelles-National, puisque DHL exige une augmentation sensible des vols nocturnes.

Si le FDF est appelé à participer à la négociation pour la formation du prochain gouvernement bruxellois, il demandera que cette question soit traitée de manière claire par les partenaires de majorité et que le gouvernement bruxellois prenne attitude sans ambiguïté en vue de la décision à prendre en concertation avec le gouvernement fédéral et le gouvernement flamand après le 1er septembre de cette année.

Pour le FDF, il est temps que l’ensemble des autorités planifie la création d’un second aéroport international appelé à accueillir le trafic cargo et le trafic passagers.

L’idée de créer un deuxième aéroport national n’est pas neuve puisque, dès 1992, sous la direction du Professeur Vandevoorde, le bureau d’Etudes CERAU envisageait déjà la délocalisation de certaines activités aéroportuaires de préférence sur le site de Chièvres.

Le FDF ne se prononce pas sans étude complémentaire approfondie quant au choix d’un site déterminé. Le choix de ce site devrait se faire de concert avec soit la France soit l’Allemagne pour développer un aéroport transfrontalier à vocation de desserte de grandes entités urbaines du nord de l’Europe. A cet égard, la France, qui est à la recherche d’un site pour le troisième aéroport parisien, peut-être aussi le second aéroport lillois, pourrait être un partenaire de premier ordre pour le développement de cet aéroport transfrontalier.

Pour permettre le développement d’une activité aéroportuaire, pôle de croissance économique, compatible avec des exigences environnementales qui seront de plus en plus contraignantes en ce qui concerne le survol aérien des entités urbaines, il n’est pas d’autre choix que d’avoir l’ambition d’un tel projet fédérateur et européen.

Faut-il enfin rappeler que l’aéroport de Bruxelles-National sera aussi à terme confronté à des problèmes d’accueil de l’Airbus A380, appelé « le titan des airs européen », pouvant transporter au minimum 555 passagers, et dont la mise en service est annoncée pour 2006. L’aéroport de Bruxelles-National ne permettrait pas par l’organisation actuelle de ces plates-formes un accueil simultané de plusieurs de ces appareils.

Le FDF appuiera toute initiative des comités de riverains qui viseraient à lancer un pétitionnement en vue de défendre ce double objectif :

l’interdiction à terme des vols de nuit à l’aéroport de Bruxelles-National

la création d’un second aéroport international, éloigné de tout centre urbain, à vocation européenne.