Nimby, Nimey, Nimtoo: quézaco?

par GAUTHIER VAN OUTRYVE.

Le terme Nimby reste connoté négativement et vise à discréditer les personnes accusées d’en souffrir. Les riverains des aéroports sont doublement victimes. Des égoïstes?

Le terme Nimby est l’abréviation de «Not In My BackYard» qui signifie «pas dans ma cour», c’est-à-dire «mettez vos nuisances ailleurs que dans mon jardin». On parle de «complexe de Nimby», ce qui évoque la notion de pathologie. Nimby est un terme hautement péjoratif qui
véhicule un message simple: «si vous souffrez du complexe de Nimby, c’est parce que vous êtes trop égoïstes pour prendre en considération les intérêts d’autrui». Dans le débat suscité par les vols de nuit, la notion de Nimby est instrumentalisée d’une manière qui mérite d’être portée à la lumière.

Un acte de propagande cynique

L’effet recherché est le discrédit. A chaque fois qu’elle se plaint ou argumente, la personne accusée de souffrir du complexe de Nimby est présentée comme un coupable: elle empêche de créer des emplois, elle est la cause de la souffrance subie par un autre groupe de riverains.
Dès lors, comment considérer qu’elle puisse être crédible? Ses arguments sont réduits à des actes d’autoprotection individuelle peu objectifs et forcément partiaux. Lorsque Bert Anciaux, des élus du Vlaamse Blok ou, plus étonnamment, certains responsables politiques francophones utilisent le terme Nimby, le but est de déstabiliser
l’interlocuteur au moyen de ce qu’il faut bien considérer comme une insulte.

Les vols de nuits infligent un traitement indécent aux personnes qui ont à les subir. Les habitants de l’oostrand, du noordrand ou de Bierset peuvent tous en témoigner. Un riverain est en général une double victime. Chacun peut comprendre que dormir mal aura des conséquences graves sur la santé. Et pour le propriétaire de son logement, le dommage s’aggrave car la valeur de son bien va diminuer
drastiquement. Le fait que le sommeil soit empêché une partie de la nuit, ou quelques nuits par semaine seulement ne va pas réduire en proportion ces effets négatifs. Dispersion va de paire avec multiplication des nuisances. Il fallait soulager le Noordrand d’une pression en effet inadmissible. En voulant répartir équitablement les
souffrances, le gouvernement espérait trouver une solution pacifique.

Bert Anciaux n’a pu que démontrer le contraire. Le principe de dispersion, qui n’a prouvé son efficacité nulle part ailleurs, apparaît aujourd’hui comme un moteur de discorde alimenté par de puissants lobbies économiques dont la vocation n’est pas l’altruisme. Dans cette lutte, pour un défenseur du principe de priorité absolue à l’emploi ou pour un activiste communautaire, qu’ils agissent par idéalisme ou par opportunisme, il importe de neutraliser le risque de sympathie à l’égard des habitants de l’est de Bruxelles. Les traiter d’égoïstes est une forme de manipulation intellectuelle qu’ils pratiquent sans vergogne. Malgré l’absurdité et l’inhumanité qu’il y a à qualifier d’égoïste une victime désignée.

Toute opinion devrait être étayée rationnellement avant de prétendre s’imposer à tous et ce n’est pas le cas. L’emploi est devenu un leitmotiv électoral et les discours se multiplient dans une surenchère cacophonique. Il faut vouloir des emplois et le plus possible car les chômeurs aussi sont des victimes dignes de respect. Mais pas à n’importe quel prix, pas n’importe quel emploi, pas sans travailler d’abord aux opportunités les moins destructrices, pas sans mesures correctrices équitables et efficaces lorsqu’elles s’avèrent nécessaires. Combien d’emplois équivalent à combien de victimes médicales des nuisances? Invoquer le bien public pour trancher net est absurde. Quant à déposséder des milliers de citoyens d’une grande partie de leur patrimoine sans qu’il soit question de compensation, cela ne heurte pas moins le sens commun. La Cour européenne des Droits de l’Homme a établi clairement la pertinence de ce critère en ce qui concerne les nuisances aériennes (Hatton contre Royaume-Uni, arrêt du 8/07/03). Décider de créer des emplois au détriment d’un certain nombre de victimes «indispensables» reste une appréciation subjective. Les tentatives de rationalisation et d’objectivation peuvent dès lors devenir des obstacles. Pour confirmer cette assertion, il suffit de constater la difficulté d’obtenir un cadastre du bruit, de faire
réaliser des études de santé publique (le ministre de la santé est muet sur ce sujet) ou l’absence d’études sur la perte de valeur immobilière.

L’intention sacrificielle

A partir de quel point, laisse-t-on entendre sournoisement, un égoïste ne mérite-t-il pas un peu les difficultés qui lui sont imposées ? Confronté au dilemme posé par l’équation impossible qui met en balance emplois et qualité de vie minimale, subrepticement, la notion de la
nécessité d’un sacrifice simplificateur apparaît. On comprend aisément l’intérêt de choisir le groupe sacrifié en fonction de son impopularité. Nimby ! Le mot claque comme une gifle. Il faut lire pour s’en convaincre «Le Bouc Emissaire» de René Girard, oeuvre majeure de la philosophie contemporaine. On peut aussi parcourir les comptes
rendus des débats en Commission de la Chambre. Le 21 janvier dernier, une parlementaire PS, Karine Lalieux déclare doctement ceci: «Or, les intérêts individuels ne peuvent être considérés comme sacrés que dans
une perspective d’intérêt général». Jolie formule mais son corollaire l’est moins car il conduit à démontrer que l’intérêt général permet le sacrifice de quelques individus. Pour mémoire: «Tous les êtres humains
naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.» (art. 1er de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme). Rien n’oblige une démocratie à fabriquer des sacrifiés.

Pour y voir plus clair, on évoquera plutôt les termes Nimey (Not In My Election Year: pas pendant l’année de mon élection) et Nimtoo (Not In My Term Off Office: pas pendant la durée de mon mandat). A regarder de près, on n’aperçoit pas forcément beaucoup d’éthique. Sans surprise, il ne reste que le champ clos du juridique pour échapper à
l’arbitraire total. Le recours à la Justice viendra aussi du tribunal des élections. La tactique du Nimby fonctionne peut-être lorsque les victimes visées sont peu nombreuses. Elle est moins pertinente lorsque de larges zones de population sont concernées.

Est-il raisonnable de rester à ce point étranger au principe de respect? N’y a-t-il pas mieux à faire? Soulager les citoyens du noordrand ou de Bierset, sans créer de nouvelles victimes à l’est de Bruxelles, constitue rien moins qu’un enjeu de civilisation. Nier la souffrance, voire l’engendrer pour créer de la richesse, n’est pas la vocation naturelle des gouvernements. Plus d’ambition, plus de génie politique, plus de respect pour l’ensemble des citoyens; voilà ce que nous sommes tous, francophones et néerlandophones, chômeurs et travailleurs, en droit
d’exiger de nos édiles. La désinformation banalisée, la destruction du mode de vie d’une communauté homogène (car l’oostrand et l’est de Bruxelles forment un ensemble indissociable), l’incitation au mépris qui peut conduire à la haine en l’absence de solution consensuelle, un
antagonisme communautaire exacerbé, l’oubli de principes démocratiques fondamentaux; tous ces ingrédients forment un ensemble inquiétant.

Un renoncement des leaders politiques francophones devant une volonté de domination flamande dont il faut percevoir l’évolution croissante est-il souhaitable? Quelles seraient les conséquences d’un traumatisme occasionné par la création de milliers de nouvelles victimes en majorité francophones si elle ne peut se justifier que par des motifs discutables? Ces questions doivent être posées et ce n’est pas à DHL d’y répondre.