Les compagnies aériennes doivent perdre leur droit de polluer les airs.

CAROLINE LUCAS
(traduction Bxl Air Libre)

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En dépit de la météo méditerranéenne que nous connaissons, le temps de l’exode annuel vers des climats encore plus ensoleillés – par avion la plupart du temps – est arrivé. Notre histoire d’amour avec l’avion alimente la croissance phénoménale des activités des compagnies aériennes : on prévoit que le nombre de déplacements par avion va doubler d’ici à 2020 et tripler d’ici à 2030. Mais cet exode alimente aussi la croissance phénoménale des émissions de gaz à effet de serre des compagnies aériennes et, partant, leur participation à un changement climatique dévastateur.

Selon les scientifiques du « Tyndall Centre », l’un des principaux centres d’études du changement climatique du Royaume-Uni, les émissions du transport aérien augmentent tellement vite qu’elles phagocyteront toutes les réductions réalisées dans tous les autres secteurs d’activité si rien ne vient les freiner.

Oui, réfléchissez-y à deux fois. Si les compagnies aériennes ne réduisent pas drastiquement leurs émissions dans les décennies à venir, nous ne pourrons plus du tout émettre de CO2 à partir d’autres sources : industrie, déplacements avec d’autres moyens de transport, chauffage des maisons, construction – plus du tout – si nous voulons atteindre nos objectifs et stabiliser les niveaux de CO2 dans l’atmosphère.

Dès lors, comme nous savons que les progrès technologiques ne peuvent à eux seuls contrebalancer le rythme de cette croissance, nous nous trouvons confrontés à un choix très simple : réduire l’expansion du transport aérien ou renoncer complètement à enrayer le changement climatique.

Bien que les progrès réalisés soient très modestes, le Royaume-Uni et l’Union européenne se sont engagés publiquement à s’attaquer à ce que Tony Blair a qualifié de « plus grave menace environnementale qui pèse sur nous » – et, que cela plaise ou non, les moyens permettant d’inverser la croissance prévue résident dans le nombre de déplacements en avion que nous effectuons actuellement.

Le Royaume-Uni est loin d’accepter cette réalité (il soutient encore, en public du moins, l’approche qui consiste à « prévoir et fournir »), et il a autorisé un programme national de construction de pistes pour absorber l’augmentation des mouvements, mais l’Union européenne propose des mesures visant à diminuer l’impact environnemental des avions, mesures qui sont axées dans un premier temps sur l’entrée des compagnies aériennes dans son système d’échange de quotas d’émissions (Emissions Trading Scheme – ETS).

De nombreuses compagnies aériennes font discrètement depuis des mois du lobbying dans ce sens, car elles ont compris qu’elles seront contraintes de faire quelque chose et que, de toutes les options possibles, l’entrée dans le système actuel d’échanges de quotas d’émissions serait celle qui entraverait le moins leur croissance continue.

Pourquoi? Parce que le principe consistant à donner aux compagnies aériennes un accès sans limites au système d’échange de quotas d’émissions leur permettrait d’acheter à d’autres secteurs le droit d’émettre du CO2. En quoi cela a-t-il de l’importance ? Primo, les émissions des aéronefs causent deux à quatre fois plus de dégâts au climat que celles des autres secteurs (partiellement en raison de l’altitude à laquelle elles sont émises et des effets des émissions autres que le CO2 telles que les traînées de condensation et les oxydes d’azote), ce qui aggravera encore le changement climatique puisque les émissions au niveau du col sont remplacées par des émissions ayant un impact deux fois plus important sur le climat – même si le système d’échange de quotas d’émissions fonctionne correctement.

Secundo, les compagnies aériennes recevront, de manière contradictoire, tout comme les autres secteurs polluants, une manne des contribuables si les allocations initiales leur sont attribuées gratuitement (allocations basées sur les émissions antérieures selon le principe de « grandfathering ») plutôt que vendues au prix du marché par voie d’enchères pour ce qui est, après tout, une marchandise négociable et précieuse.

Tertio, il est probable que la forte demande de permis d’émissions émanant de l’aviation pèsera fortement sur le système existant, avec le risque très réel de voir les membres actuels exercer des pressions pour que soit relevé le plafond général – ce qui diminuera l’efficacité de tout le système.

Quarto, et c’est le point le plus accablant, cela ne marchera tout simplement pas. La Commission européenne a reconnu que l’augmentation du prix des billets d’avion qui résultera de l’entrée des compagnies aériennes dans le système d’échange des quotas d’émissions pourrait ne pas dépasser 2 euros par vol aller-retour et qu’il est peu probable qu’elle soit supérieure à 9 euros. Cette augmentation du prix des billets n’aurait qu’un faible impact sur la réduction de la demande de déplacements en avion.

Le système d’échanges de quotas d’émissions peut jouer un rôle, mais uniquement s’il est véritablement conçu dans le but de réduire les émissions du secteur du transport aérien année après année – au lieu de lui donner les moyens de continuer à croître – et pour autant que ce soit le pollueur et non le contribuable qui soit le payeur. En d’autres termes, ce doit être un système « fermé » de manière à ce que les compagnies aériennes doivent se faire la concurrence pour l’obtention de droits d’émissions limités. Le plafond initial général doit être rigoureux, avec des réductions annuelles strictes des allocations, et les allocations doivent être vendues plutôt que simplement distribuées. Et le système doit être soutenu par d’autres mesures, telles que les taxes en fonction des émissions, afin de s’attaquer aux émissions autres que celles de CO2.

Tant que les compagnies aériennes ne devront pas payer leur dû afin de couvrir les coûts sociaux et environnementaux de leurs activités, on ne peut espérer qu’un grand nombre de gens renonceront à leur liberté personnelle de parcourir le monde en un clin d’œil. Tant que le droit de polluer à volonté ne sera pas supprimé aux compagnies aériennes, le changement climatique ne sera pas enrayé.

Caroline Lucas MEP(Verts)est rapporteur de l’Union européenne sur la question « aviation et changement climatique »

Il faut freiner l’expansion du transport aérien ou renoncer à relever le défi du changement climatique.

carolinelucas@greenmeps.org.uk