Des vols « verts et durables » ? Des organisations de consommateurs portent plainte contre plusieurs compagnies aériennes pour « greenwashing »

Rtbf.be

22 juin 2023

Dénoncer, ce qu’elles estiment être, des allégations trompeuses « visant à faire croire qu’il est possible de voler vert ou durable » de 17 compagnies aériennes, c’est ce qu’ont décidé de faire plus d’une vingtaine d’organisations de consommateurs européennes. Pour ce faire, elles déposent une plainte devant la Commission européenne et le Réseau de coopération en matière de protection des consommateurs.

La coupole de ces organisations de consommateurs, le Beuc, qui a coordonné l’étude, estime que « ces allégations sont constitutives de pratiques commerciales déloyales« .

En préambule, les organisations de consommateurs, dont Testachats, rappellent qu’il « est évident que le transport aérien est à l’origine d’une part importante et croissante des émissions de gaz à effet de serre« . Un avis partagé par le récent rapport européen sur l’état de l’aviation en 2022 qui pointait, entres autres, que « la croissance des émissions de CO2 de l’aviation s’est accélérée avant la pandémie de COVID-19 et que près de la moitié des émissions mondiales de CO2 entre 1940 et 2019 se sont produites depuis les années 2000. » Mais aussi que les émissions de CO2 de tous les vols au départ des aéroports de l’Union européenne (plus la Suisse, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein) ont atteint 147 millions de tonnes en 2019, soit 34% de plus qu’en 2005.

Dans ce cadre, « il est inacceptable de constater que les compagnies aériennes se rendent coupables de greenwashing« , dénoncent les organisations. Ces dernières ont constaté que des compagnies aériennes avaient des allégations du type : « que l’on peut “compenser” ou “neutraliser” les émissions CO2 de son vol, ce qui est factuellement incorrect. »

Certaines compagnies proposent un supplément à payer lors d’un vol pour le développement des SAF (Sustainable Aviation Fuels). Or ces carburants durables pour l’aviation « ne sont pas prêts à être commercialisés à large échelle » et ils ne représenteront au niveau du mélange de carburants que 2% en 2025, précisent les organisations de consommateurs.

Et puis, certaines compagnies « laissent penser qu’il est possible de voler “durable” ou “vert” alors qu’aucune des stratégies déployées par le secteur aérien ne permet d’éviter l’émission de gaz à effet de serre. »

que les passagers paient un « tarif vert » ou non, leur vol émettra toujours des gaz nocifs pour le climat

En Belgique, Brussels Airlines (Lufthansa Group) est pointée du doigt dans l’enquête en raison d’un supplément « conséquent » pour un Economy Green que la compagnie aérienne propose aux passagers au moment de réserver un vol. Brussels Airlines annonce en effet sur son site que ce service payant est « plus durable grâce à l’utilisation de carburants d’aviation durables (CAD) (réduction de 20% des émissions de CO2 liées aux vols) et à une contribution à des projets de protection du climat de qualité (compensation de 80% des émissions de CO2 liées aux vols). » Ce supplément varie en fonction du vol, mais dans un cas de figure donné en exemple il était de plus de 30 euros, précise l’association de consommateurs.

Julie Frère, porte-parole de Testachats estime que le « terme (Economy Green) est trompeur en tant que tel. Et ce vol est censé permettre de compenser les émissions de CO2 via des projets financés par Brussels Airlines, mais aussi via l’utilisation de carburants d’aviation durables. »

Or, note Julie Frère « on sait très bien aujourd’hui que malheureusement, le financement de ces projets ne permet pas de compenser, de neutraliser toutes les émissions de CO2 liées au vol, et que la part de carburants d’aviation durables est réellement minime. » Elle rappelle aussi « que les passagers paient un « tarif vert » ou non, leur vol émettra toujours des gaz nocifs pour le climat”.

Notons que Brussels Airlines (l’une des quatre compagnies aériennes du réseau du Lufthansa Group) n’est pas la seule compagnie dont les pratiques en matière de greenwashing sont dénoncées dans cette enquête européenne. Ryanair, Vueling, KLM, TAP Portugal, Lufthansa, Swiss, Eurowings, Air France, KLM, Norwegian, Wizz Air, Air Dolmiti et Austrian sont aussi cités.

Le groupe Lufthansa n’a pas souhaité donner d’interview, mais précise par courrier être au courant qu’une plainte va être déposée. »Au moment de la réception officielle, nous l’analyserons attentivement et y donnerons suite ».

La société précise aussi qu’elle est consciente de son empreinte écologique et que « des objectifs ont été fixés pour réduire de 50% les émissions de CO2 d’ici à 2030 (par rapport à 2019) et pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Ce trajet de réduction jusqu’en 2030 a été validée par l’initiative indépendante Science Based Targets Initiative (SBTi) en août 2022. »

Le carburant aviation durable, le renouvellement de la flotte, l’efficacité opérationnelle, l’intermodalité et le ciel unique européen sont les leviers les plus importants pour réduire l’impact de l’aviation. Lufthansa Group mise sur un dialogue continu et informe régulièrement ses clients, les parties prenantes et le public intéressé de sa responsabilité en matière de réduction de l’impact environnemental des vols »

Pour les organisations de consommateurs, les compagnies aériennes doivent « cesser de donner aux consommateurs la fausse impression qu’ils choisissent un mode de transport durable. »

Quant aux autorités, nationales et européennes, il leur est demandé d’orienter les consommateurs vers des modes de transport « réellement plus durables, mais également fiables et attrayants, tels que des liaisons ferroviaires longue distance de meilleure qualité”.

De la sobriété

Rappelons aussi que dans le cadre du réchauffement climatique, les compagnies aériennes réunies dans l’Association internationale du transport aérien (Iata), ont entériné l’objectif de « zéro émission nette » d’ici à 2050. Or, analyse Andrea Catellani, professeur à la Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication de l’UCLouvain, pour arriver à ces objectifs de réduction des émissions il faudrait aussi « un peu de sobriété« . « Outre le développement technologique, il faut aussi une réduction de la consommation du transport aérien. Diminuer chaque année, un peu, le nombre de passagers. »