Rtbf.be 03 juin 2019
Le sujet est de plus en plus souvent sur la table des gouvernements en Europe ou de l’Europe ces derniers mois. Comment gérer le développement croisant du transport aérien et son impact environnemental important. Et ce, sans compromettre la réalisation des objectifs votés pour respecter la politique climatique de nos pays. L’actualité récente, les manifestations multiples de jeunes européens dans les rues poussent les politiques dans le dos à prendre des mesures fortes.
En Suède, « Flygskam » – ou « la honte de prendre l’avion » en français — est un terme en vogue dans le royaume qui traduit le sentiment de culpabilité face aux effets environnementaux néfastes du transport aérien.
On parle de taxer le kérosène ou de réduire les vols de très courtes distances pour privilégier le transport ferroviaire.
En France, cette semaine, un texte visant à supprimer 72 vols domestiques au profit des trajets en train va être présenté à l’Assemblée Nationale. A l’origine de cette proposition de loi notamment le bouillonnant député La France Insoumise François Ruffin et la députée écologiste Delphine Batho.
Ces courts trajets en avion sont considérés par ces députés français comme « une absurdité écologique« . Leur volonté est d’ici 2021 d’interdire tous les vols intérieurs pour lequel il existe une liaison ferroviaire en moins de 5 heures.
Sont ainsi concernées des lignes comme Paris-Bruxelles (1h10 minutes en train), Paris-Marseille (3h05), mais pas la ligne Paris-Londres (2 heures).
Et d’expliquer à nos confrères français : « Pour s’aligner sur une trajectoire compatible avec les 1,5 °C en France, les émissions de CO2 doivent baisser d’au moins 55% d’ici 2030. Ces objectifs sont incompatibles avec la croissance du transport aérien, ni même avec son maintien« .
Suède : ils sont de plus en plus nombreux à avoir honte de prendre l’avion
Un avion pollue beaucoup plus que le train
L’avion pollue plus que le train c’est sûr. Le voyage d’une personne en avion émet 50 fois plus de CO2 que le même trajet fait en TGV.
Dans le monde, les émissions de CO2 de l’aviation ont augmenté de 70% en 20 ans. Aujourd’hui, le trafic aérien contribue autant au réchauffement climatique qu’un pays comme l’Allemagne.
Le décollage et l’atterrissage sont les étapes les plus énergivores et produisent 25% des émissions pour un vol de plus de 800 kilomètres. Ce qui explique l’intérêt d’empêcher des vols courtes distances.
Aller/retour Paris-New York en avion =Â chauffer un logement pour 1 an
Un secteur aérien toujours en croissance forte
La croissance du transport aérien est tel dans le monde qu’il va forcer le recrutement de plus de 600.000 pilotes de ligne d’ici 2036, un défi vu le vieillissement de la population, expliquait l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) en 2018.
L’essor du tourisme, mais aussi du commerce en ligne
La croissance du transport aérien s’explique notamment par l’essor du tourisme, mais aussi du commerce en ligne dont les livraisons sont aujourd’hui effectuées à 90% par avion, contre seulement 16% en 2010.
Quelque 4,1 milliards de personnes voyagent par avion chaque année et un tiers de la marchandise échangée dans le monde l’est par voie aérienne, a-t-elle souligné.
Ce n’est pas le train qui est trop cher, c’est l’avion qui est trop avantagé.
Les coûts de production
Un autre point dont il faut tenir compte, selon Henri-Jean Gathon, professeur d’économie des transports à l’université de Liège, est le coût de production. Pour les avions, l’infrastructure se résume aux aéroports alors que dans le cas du train, il y a les gares, mais aussi l’infrastructure des voies pour lesquelles il faut aussi payer. Lorsque l’on tient compte de tout cela, les coûts de production du mode ferroviaire seraient plus importants que pour le mode aérien.
Et le kérosène ?
Le kérosène est un carburant utilisé pour le transport international. Et ces carburants sont souvent détaxés. C’est le cas du kérosène ou encore du fioul utilisé par la marine marchande. Pour Henri-Jean Gathon, cette détaxation pose certainement des problèmes tant d’un point de vue économique que du point de vue environnemental.
Comment rendre le train plus attractif ?
Pour rendre le train plus attractif, au niveau international notamment, le financement des infrastructures doit être prioritaire dans le chef des gouvernements.  » Il faut que les pouvoirs publics financent mieux les infrastructures ferroviaires. Cela permettrait de baisser le coût des péages transnationaux et ainsi aux compagnies ferroviaires de réduire leurs coûts« .
D’ailleurs, on voit que là où le réseau ferroviaire à grande vitesse s’est développé, il permet le transport de passagers au détriment de l’avion. « Dans les grands pays européens, les vols intérieurs ont progressivement cédé la place au train à grande vitesse constate Henri-Jean Gathon. Et donc ces mesures visant à interdire les vols de courtes distance ne font qu’entériner ce qu’on constate déjà sur le terrain. Chaque fois qu’une ligne de train est compétitive en termes de temps, elle mange les parts de marché de l’avion ».
Le cas des vols de corresondance
Reste que même sur une courte distance, l’avion peut être plus avantageux. Essentiellement quand il s’agit de faire un petit vol pour rejoindre un aéroport de correspondance. Si cet aéroport n’est pas connecté au TGV, le rejoindre en train pourra s’avérer fastidieux. C’est le cas de l’aéroport de Londres Heathrow par exemple, pourtant gros hub. Il faut donc distinguer les vols courtes distance dont la destination est la destination finale et ceux pour correspondance.
Aller pour un week-end Ă Londres, par exemple, qui est donc la destination finale, sera plus rapide et souvent moins cher que l’avion. Aller de Bruxelles Ă Londres pour y prendre une correspondance vers l’Asie sera plus rapide est souvent moins cher que avion. Dans ce cas, prendre l’Eurostar puis une navette ou un taxi de la gare Ă l’aĂ©roport s’avĂ©rera plus cher. L’avion, mĂŞme courte distance fait donc encore partie des dispositifs des compagnies aĂ©rienne tant que les aĂ©roports ne seront pas mieux connecté au TGV et tant que l’avion coĂ»tera moins cher que le train.
Un coût environnemental encore bien plus important que prévu
Le coût environnemental des 33 aéroports européens est de 33 milliards d’euros, selon une étude de la commissaire européenne au Transport Violeta Bulc citée lundi par La Libre et Le Soir. Les chiffres ont été divulgués aux patrons des compagnies aériennes lors du sommet de l’Association internationale du transport aérien à Séoul ce week-end.
Ces coûts environnementaux recouvrent les coûts du bruit, des émissions de CO2 et de l’impact sur les changements climatiques des 33 aéroports examinés par l’étude.
« Je dois être honnête avec vous, on pensait que ce chiffre serait vraiment inférieur », explique la commissaire à La Libre Belgique ce lundi 3 juin. La commissaire souligne que « le prix payé par ceux qui voyagent en avion couvre à peu près les coûts d’infrastructure, mais pas les coûts environnementaux ». « Nous ne pouvons pas continuer à générer des coûts aussi élevés avec l’aviation ni avec aucun autre mode de transport. Nous devons redresser la situation, et rapidement« , dit-elle dans Le Soir.
En dévoilant cette étude, la commissaire prépare-t-elle le secteur à une taxe sur le kérosène ? « Ce n’est pas à exclure. Cela fait en tout cas partie des outils dont nous disposons pour limiter cet impact environnemental négatif. Mais ce sera à la prochaine Commission de décider », répond Violeta Bulc. L’étude doit être publiée officiellement la semaine prochaine.
La solution sera européenne ou ne sera pas
Après les Pays-Bas, la Belgique proposait à ses partenaires européens d’introduire une fiscalité européenne sur l’aviation commerciale en mars dernier. Il pourrait s’agir d’une taxe sur le carburant des avions, actuellement exempt de toute taxe, ou d’une TVA sur les billets d’avion.
Jusqu’à présent pas de consensus européen sur la question. La principale critique à la proposition française tient d’ailleurs en peu de mots « les passagers iront prendre leur vol long-courrier ailleurs en Europe« .
On le sait, il n’y aura pas de solution viable à l’échelle d’un pays. Il est sûr que ce dossier figurera au menu des prochains dirigeants européens.
Olivier Arendt