euractiv.com 12 juillet 2012
La Flandre pourrait partir en guerre sur les nuisances sonores
Les vols au-dessus de Bruxelles devraient être plus limités pour protéger les habitants des niveaux sonores excessifs, explique Véronique de Potter de l’organisation locale Bruxelles Air Libre. Elle a affirmé que la région flamande, où est situé l’aéroport, serait presque prête à partir en guerre si les itinéraires de vol étaient déviés de la capitale belge pour survoler le territoire flamand.
Véronique de Potter préside l’asbl Bruxelles Air Libre et est l’administrative de l’UECNA (European Union against Aircraft Nuisance). Elle s’est confiée à Frédéric Simon, rédacteur en chef d’EurActiv.
La Commission européenne a proposé en novembre un nouveau règlement sur le bruit autour des aéroports. En quoi cette législation vous intéresse-t-elle?
Je suis aussi administratrice à l’UECNA qui est l’Union Européenne contre les Nuisances des Avions, qui chapeaute la plupart des groupes nationaux. Et donc on a rencontré nous même un rapporteur de la Commission qui s’est occupé justement d’examiner ce ‘Better Airports’ package.
Les choses qu’on a constaté c’est que l’objectif non déguisé de la Commission c’est d’améliorer l’exploitation de la capacité des aéroports, ils n’en font pas mystère. Ils parlent de bruit mais ils disent aussi qu’il faut un équilibre entre les problèmes de bruit et de compatibilité avec la vie des riverains et les intérêts économiques, ils n’en font pas mystère. Donc ça nous chipote déjà beaucoup.
Le but est aussi de retirer la directive 2002/30 par un règlement ce qui a mon avis n’est pas une bonne idée non plus, en principe directement applicable. Mais clairement ce qui manque – et manquait déjà dans les directives précédentes – c’est qu’il n’y a pas de chiffres. Il a y eu des méthodes de mesures mais il n’y a jamais eu des objectifs chiffrés, ni de dates.
Vous voulez dire une limitation des décibels à un certain niveau?
Oui, l’organisation mondiale de la santé a fait des recommandations qui sont reconnues et acceptées et la Commission ne les reprends jamais. Il y a aussi les créneaux (les slots). On est u n peu désolés que la Commission ne reprenne pas cela pour rationaliser l’utilisation des aéroports dans les endroits où ça pose problème. La Commission veut aussi accélérer la modernisation des flottes par des avions dits ‘chapitre 4’ qui sont moins bruyants.
Alors, on se focalise toujours sur le quota de bruit individuel des aéronefs. Moi, j’ai été voir plein d’aéroports à Vienne, à Amsterdam, le problème c’est un peu comme pour les voitures. Si vous avez dix voitures bruyantes qui passent dans votre rue sur une journée, eh bien c’est beaucoup plus supportable que d’en avoir mille moins bruyantes qui passent devant chez vous. Le problème est aussi le nombre, et ça on n’en parle jamais, ce n’est pas tout de remplacer des avions anciens des années soixante.
Ce qui m’a frappée à Amsterdam par exemple c’est que les gens disaient : ‘Nous le problème c’est le nombre, ce n’est pas tant le bruit individuel des avions’. Et tout le progrès acquis par la diminution du bruit individuel des aéronefs est gommé par le nombre croissant des mouvements. Or, ce problème la n’est jamais évoqué. Et l’OMS dit exactement la même chose.
La Commission affirme vouloir améliorer la transparence dans les prises de décision au niveau local afin de limiter le bruit autour des aéroports. Estimez-vous que les décisions prises à Zaventem ont été suffisamment transparentes?
Le problème en Belgique c’est aussi la régionalisation et donc l’émiettement des compétences. En Allemagne et en Suisse qui sont des états fédéraux ou confédéraux, toutes les grandes infrastructures comme les autoroutes, les tunnels, les gares, les chemins de fer et les aéroports, continuent de relever de l’état fédéral et s’appliquent à l’ensemble du territoire.
En Belgique, on a régionalisé à tel point que lorsque la région flamande, sur lequel se trouve l’aéroport de Zaventem, consulte en matière de bruit, elle consulte uniquement les communes flamandes qui sont sur son territoire et qui se trouvent autour de l’aéroport.
Mais on a dû contester à plusieurs reprises pour que la consultation s’étende à Bruxelles puisqu’elle est survolée.
Le problème c’est que la Belgique est un petit pays avec des compétences très régionalisées qui font que les consultations s’arrêtent à des frontières intérieures qui ne correspondent pas à la réalité du transport aérien.
Dans le cas de Zaventem, est-ce que tout le monde a été consulté en fin de compte?
La dernière fois que la région flamande a fait une consultation, je crois que c’était au sujet du règlement d’exploitation de l’aéroport, la première consultation s’étendait uniquement aux communes flamandes riveraines de l’aéroport, rien pour Bruxelles.
Alors, on a poussé des hauts cris en disant que c’était scandaleux et puis ils ont consenti à consulter quelques communes mais toute la région bruxelloise est survolée.
Selon le règlement proposé par la Commission c’est une obligation de consulter toutes les populations concernées. Et selon le projet, une décision peut être annulée si cette transparence n’est pas respectée…
Mais le problème c’set que, les compétences régionales en Belgique étant ce qu’elles sont, il faudrait que ce soit organisé par l’état fédéral qui n’a pas de compétences en la matière. C’est ça le problème.
Un aéroport, il y a une différence entre sa capacité au sol qui peut être d’autant de kilomètres carrés et l’espace aérien qui est utilisé par cet aéroport. Et tout ça ne se recoupe pas de manière logique.
En plus, à Bruxelles, quel que soit le système de décision, le problème est rendu complètement impossible a gérer par le fait que – en raison justement de ces compétences régionales – on a laissé bâtir tout autour de l’aéroport, ce qui le rend inutilisable pour les objectifs qu’il se propose d’atteindre.
Donc tout cela relève d’une hiérarchie des compétences en Belgique, donc je ne vois pas comment la Commission pourrait intervenir. Ou alors il faudrait qu’en Belgique on ‘re-fédéralise’ certaines décisions en matière d’aménagement du territoire…
En tout cas, c’est bien ce que semble proposer la Commission. En suivant sa logique, la décision de la région flamande devrait être déclarée illégale pour manque de transparence dans la consultation…
Oui, c’est une possibilité. Mais j’entends beaucoup de gens qui sont sceptique quant à la possibilité d’octroyer à la Commission un pouvoir de décision.
Nous, chaque fois qu’on est allé voir la Commission (à l’époque la DG TREN), ces gens avaient tendance à dire que les transports aérien est une compétence qui relève essentiellement des états et qu’ils n’avaient pas l’intention d’y changer quoi que ce soit.
Alors maintenant, qu’elle vienne avec cette décision en matière de bruit, a priori c’est une bonne chose, mais en même temps son objectif bien avoué c’est d’utiliser au mieux la capacité des aéroports…
…ce qui serait la contrepartie.
Oui, mais il est avéré par plein d’études qu’augmenter les capacités de transport aérien n’augmente pas parallèlement le nombre d’emploi ni le bénéfice économique qu’en tire l’état. Au contraire, il apparaît clairement que l’augmentation du transport aérien accélère la fuite des investissements, des capitaux et de l’emploi vers les pays étrangers. Donc quelle est l’utilité?
La Commission dit qu’elle veut répondre à la demande des voyageurs. Excusez-moi mais ça ne me paraît pas pertinent par rapport au bruit. En plus la logistique et les transports aériens sont des secteurs à faible valeur ajoutée qui coûte cher en termes d’emploi et en même temps représentent une faible valeur ajoutée.
En plus, les exploitants des aéroports eux-mêmes le disent, la capacité théorique d’un aéroport – la dimension des infrastructures au sol, les pistes, etc. – n’a rien à voir avec la capacité environnementale. C’est-à-dire si un aéroport est complètement bâtit tout autour, vous pouvez oublier la capacité théorique, elle ne sera jamais exploitable. Et à Bruxelles c’est particulièrement flagrant.
A Charleroi et à Liège, la région Wallonne a exproprié les résidents alentours et isolé l’aéroport. A Zaventem, il n’a jamais été question de faire le moindre effort de ce côté-là. A l’aéroport d’Atlanta aux Etats-Unis, ils ont racheté des quartiers entiers pour justement pouvoir augmenter la capacité de l’aéroport. Ici, il n’en est pas question. Alors, on peut consulter les populations mille fois, tant qu’il n’y a pas de décision pour la protection des populations, tout ça c’est du pipeau…
Si on fait abstraction de la situation administrative un peu compliquée en Belgique autour de Bruxelles, y aurait-il un plan de route idéal pour l’arrivée des avions sur Zaventem, qui épargnerait au mieux les zones les plus peuplées ?
Les zones les moins peuplées sont celles où paissent les vaches. Donc ça devrait de toute façon éviter l’agglomération bruxelloise. Alors, allez parler de ça aux Flamands au nord de Bruxelles et vous avez la guerre ou à peu près…
Ceci dit, on a beaucoup bâtit dans la périphérie de Bruxelles. Mais contrairement à d’autres villes où on considère que la périphérie fait partie de l’agglomération et que tout ce qui est bâtit forme la ville, ici non. Or pour un géographe ou un sociologue, la périphérie fait partie de Bruxelles.
Ce n’est pas un hasard si à Munich ils ont déplacé leur aéroport, à Oslo aussi. En fait, il ya longtemps que Zaventem n’aurait plus dû avoir un tel niveau d’activité là où il se trouve.
Pour ce qui est des routes alternatives on a tout étudié. Le problème est insoluble.
Oui, mais la Commission européenne a proposé des solutions. Peut-être que le niveau européen, avec ces critères de consultation et de transparence, peut intervenir utilement dans ce débat?
Moi, les gens que j’ai rencontré à la Commission, ils ne sont pas près à se mouiller là dedans. C’est ça qui m’étonne par rapport au projet de règlement.
Si on suit leur logique, les routes actuelles autour de Bruxelles devraient être changées…
Oui, mais ou faire passer les avions? C’est un double problème. D’abord cet aéroport a été revendu, d’abord à la banque australienne McQuarrie qui l’a revendu au fonds de pension des instituteurs de l’Ontario au Canada. Donc cet aéroport n’est plus public, l’état garde une part mais il est désormais privatisé. Donc, il suit les routes que lui dicte Belgocontrol, mais pour le reste c’est un aéroport privé.
Pour ce qui est des routes, je crois que toutes les associations et les experts se sont penchés dessus. Le nouveau terminal a été bâtit sur une des pistes qui aurait pu être utilisée pour éviter Bruxelles. Il y avait une piste qui existait et elle a été utilisée pour construire le nouveau terminal.
En plus, toutes les routes possibles et imaginables doivent aussi tenir compte des normes de vent. L’aéroport de Zaventem a été installé par l’occupant allemand pendant la 2ème guerre mondiale à l’est de Bruxelles, ce qui est la moins bonne configuration possible, puisque les avions doivent idéalement décoller et atterrir face au vent. Vous ne pouvez pas décoller et atterrir avec n’importe quel vent – vous ne pouvez pas avoir du vent arrière pour atterrir – vous ne pouvez pas faire ce que vous voulez.
Alors le choix qui devrait être fait à Bruxelles – mais ça relève encore une fois des états nationaux – c’est de choisir une activité pour cet aéroport qui soit compatible avec son environnement. Ça, c’est le vrai choix, c’est pas de faire des pistes à gauche ou a droite.
Zaventem, c’est aussi un aéroport qui ne peut pas fonctionner la nuit, c’est comme Orly.
Pourtant, il fonctionne quand même la nuit.
Oui, il y a pas mal de vol de nuit mais moins qu’avant parce que DHL est parti à Leipzig. Ceci dit à Leipzig, les gens ne sont pas heureux, ils ne sont pas convaincus que l’augmentation du nombre d’emplois compense les inconvénients. Pour le moment, vous avez des manifestations monstres à Francfort, à Munich, à Nantes en France – les gens commencent à se dire qu’ils ne voient pas l’intérêt de tout ça.
Donc quelle est la finalité? Plus d’emploi? Augmenter le nombre de mouvement ne fait pas doubler le nombre d’emploi, ça c’est clair. Et la pollution aussi. Donc les gens commencent à penser autrement, les gens veulent toujours voyager mais ils se disent que ça ne va plus.
Et transporter des marchandises c’est bien joli, mais ça ne procure pas plus d’emplois ici. Dans cette histoire, je ne vois pas de finalité autre que de mieux exploiter les aéroports pour répondre à la demande et aux désirs des voyageurs.
Les aéroports régionaux ont tout de même permis un essor touristique dans des régions qui n’étaient pas faciles d’accès, notamment les destinations qui sont desservies par Ryanair.
Oui et le résultat c’est que tous les anglais un peu fortunés ont racheté le sud-ouest de la France. Je ne sais pas à qui ça bénéficie. Il ne faut pas oublier que le transport aérien, en vertu de la Convention de Chicago de 1944, n’acquitte pas de droits sur le carburant (kérosène) ni de TVA, ce qui en fait un moyen de transport subventionné par les fonds publics qui génère de facto un manque à gagner pour les budgets nationaux.
Pour ce qui est de Ryanair, ils exigent des subventions pour s’installer et lorsque les communes décident de ne plus payer ces subventions, ils plient bagage et ils s’en vont, donc ils vivent de l’argent public.
Il y a aussi le problème des salaires – on localise les pilotes là où les conditions sociales sont les plus faibles. Je veux dire, le low-cost c’est un secteur qui sent le souffre, En plus, le low-cost est dépendant des prix du pétrole et je peux vous dire qu’il ne va pas descendre le pétrole donc je ne sais pas comment ils vont faire leur marge…
Pour vous la solution à Bruxelles, ce serait de transformer Zaventem en un aéroport local et d’en construire un neuf à l’extérieur de la ville ?
Il avait été question à un moment d’utiliser une piste militaire non-utilisée qui se trouve au siège du SHAPE à Chièvres, la base militaire de l’OTAN dans le Hainaut, à mi-chemin entre Bruxelles et Lille, à proximité de la ligne de TGV Bruxelles-Paris et de la frontière linguistique, mais malgré tout situé en région wallonne.
Il avait été question d’un aéroport en partenariat avec Lille. Je crois que Guy Verhofstadt l’avait proposé. Mais l’aéroport était situé en Wallonie, à un jet de pierre de la frontière linguistique et les flamands se sont levés comme un seul homme en disant que c’était hors de question. La Flandre est absolument décidée à avoir ses pôles que sont Anvers et Zaventem alors que malgré tout le trafic entre les deux ne fonctionne pas bien. Et malgré que Zaventem ait été construit avec des fonds fédéraux à l’origine, ça reste leur aéroport.
Donc oui on avait proposé, mais ces propositions ont été mises au frigo.
De toute façon, la Belgique est tellement régionalisée, qu’on a cinq aéroports qui vivent tous leur vie dans leur coin et il n’y a aucune rationalisation entre ces aéroports. Mais le problème existe ailleurs, en France vous avez des chambres de commerce qui gèrent des aéroports et tout cela n’a aucune rationalité. En Ile de France, on concentre plein de choses, il y a trop d’aéroports, il y a trop de mouvements, et ca n’est pas du tout rationnel.
Donc quelque part, le transport aérien, c’est chacun pour soi dans son coin. Ca n’est pas comme les chemins de fer où il y a une planification nationale. On a même construit en Espagne des aéroports au milieu de nulle part qui ne servent à personne et qui ont consommé des fonds publics, notamment européens. Je crois que c’est une manne qui finira par se tarir tôt ou tard, le transport aérien n’est pas une promesse d’avenir.
Donc voilà, pour Bruxelles, des routes idéales, il n’y en a aucune, c’est impossible