Un saut de puce pour l’avion, un pas de géant pour le réchauffement

Prendre l’avion de Charleroi à Liège est une absurdité environnementale. Tout le monde est tombé d’accord là-dessus, Europe comprise, mais la Région flamande fait de la résistance.

Rappelez-vous ! Le 18 octobre 2006, une opinion publiée dans « La Libre Belgique » et intitulée « Prendre l’avion de Charleroi à Liège » dénonçait l’absurdité environnementale de ce vol ultracourt qui allait dégager « 33 tonnes de CO2 dans l’atmosphère par semaine, soit l’équivalent de ce qu’émet une automobile en parcourant 207 000 kilomètres, plus de cinq fois le tour du monde, ou encore l’équivalent des émissions hebdomadaires de CO2 d’une soixantaine de ménages belges, soit aussi l’équivalent de ce qu’une éolienne de la dernière génération à Perwez permet d’éviter chaque semaine en matière d’émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ».

La saga des vols « sauts de puce » était amorcée et allait devenir un dossier emblématique en matière de lutte contre le réchauffement climatique en Région wallonne.

Une dizaine de jours plus tard, le ministre régional en charge de la politique aéroportuaire André Antoine, interdisait le « saut de puce ». La décision fut alors soutenue et saluée par l’ensemble des associations de protection de l’environnement et (presque) toute la classe politique.

Dans la foulée, et pour appréhender la problématique de manière plus générale, le ministre fédéral de la Mobilité Renaat Landuyt élaborait un projet d’arrêté royal interdisant les vols d’avions de plus de 5700 kg (un standard international pour définir l’aviation commerciale) entre deux sites distants de moins de 150 km. De son côté, André Antoine faisait suivre le dossier à l’Europe. La Commission européenne valida rapidement cette décision régionale reconnaissant que « des intérêts environnementaux sont gravement mis en péril ». En outre, le 19 mars dernier, cette même Commission, s’inspirant de l’initiative wallonne, proposait l’insertion d’un nouvel article dans la révision du 3e « Paquet Aérien » portant sur la généralisation de l’interdiction des vols « sauts de puce » dans tous les États membres.

Et pendant ce temps, les mois se sont écoulés. Après un été 2006 déjà très chaud, l’automne qui a suivi a été très exceptionnellement chaud… rien de moins que le plus chaud de ces 500 dernières années ! Et l’hiver dernier, caractérisé par l’absence totale de jours d’hiver (pas de température maximum inférieure à 0°C), fut également le plus chaud jamais observé en Belgique depuis le début des enregistrements. Le mois de mars suivait cette tendance exceptionnelle et ce mois d’avril restera dans les annales comme le plus chaud jamais enregistré avec des températures largement supérieures aux valeurs normales d’un mois de mai-fait-ce-qu’il-te-plaît.

Et l’opinion publique se rend compte que quelque chose ne va plus. Aux températures incroyablement élevées, se sont greffés d’autres acteurs dont l’objectif est de sensibiliser le public et la classe politique sur les effets néfastes à venir du réchauffement climatique. Ainsi, le film d’Al Gore a été vu par toute la sphère politique belge, Nicolas Hulot a été reçu en chef d’État par nos présidents de partis, et les derniers rapports du Groupe intergouvernemental pour l’étude du climat (GIEC) rappellent tant aux décideurs qu’aux citoyens la nécessité d’une action rapide pour lutter contre le changement climatique.

De son côté, le monde associatif belge se mobilise avec force et conviction. De grandes initiatives voient le jour. Le Pacte écologique belge proposant 36 mesures concrètes à mettre en oeuvre pour donner un avenir viable à notre société a déjà reçu le soutien de plus de 20 000 personnes. D’autres revendications citoyennes constructives se sont également multipliées. La pétition du collectif Avion Rouge réclamant un étiquetage clair du mode de transport des marchandises intercontinentales est ainsi portée par plus de 6 000 Belges francophones. Les choses changent !

Mais voilà que dans ce contexte de bouleversement sociétal, nous avons appris le 25 avril dernier que le Comité de concertation, qui réunit la totalité des entités fédérées belges, est en désaccord avec le projet d’arrêté royal interdisant les vols « sauts de puce », la Région flamande préférant ne pas mettre la barre à 5,7 tonnes mais bien à 30 tonnes. Et ce, pour des motifs non pas techniques mais, on l’aura deviné, purement économiques probablement influencés par certains lobbies. Car avaliser ce projet de loi équivaudrait à interdire annuellement plus de 400 vols aériens « sauts de puce » dans le ciel flamand. Et ce, dans un secteur bien particulier : celui des « avions-taxis », dévolu à une catégorie spécifique de riches businessmen ! Une « niche » économique à laquelle la Flandre ne veut pas toucher. Comme si la réduction des émissions de CO2 n’était le problème que des citoyens ordinaires.

Ainsi, dirigées par des prises de décision dont les retombées sont « immédiates, certaines et positives », ces autorités se sont subitement détournées de l’intérêt commun, celui de la lutte contre le réchauffement climatique dont les répercussions négatives sont probablement encore considérées par celles-ci comme lointaines et peut-être encore entachées d’incertitudes. Cet état de fait est navrant. Cela fait maintenant 30 ans que les scientifiques tirent la sonnette d’alarme par rapport au réchauffement climatique. Année après année, les constats sont identiques mais avec deux bémols : les projections s’affinent et les incertitudes s’amenuisent. Et le temps s’écoule, l’apparent lointain devenant peu à peu réalité…

On peut tergiverser. On peut décider à court terme. On peut tourner le dos à la problématique du réchauffement climatique. Mais arrivera le moment où la mise en place d’alternatives sera encore plus difficile car gardons toujours une chose essentielle à l’esprit : on ne négocie pas avec la physique de l’atmosphère, on ne négocie pas avec les événements climatiques extrêmes qui vont se multiplier. Lorsque les États-Unis ont été frappés par l’ouragan Katrina en 2005 ou l’Europe par une vague de chaleur sans précédent en 2003, nous n’avons pas pu négocier, mais parer au plus pressé dans le chaos généralisé. Pour rappel, la canicule de l’été 2003 s’est soldée par un bilan effrayant de 70 000 morts en Europe. A méditer en croisant les doigts pour que l’été 2007 ne soit pas plus chaud encore qu’il y a quatre ans…