La globalisation est-elle durable avec un pétrole cher ?

Notre Ă©poque se caractĂ©rise, notamment, par la montĂ©e en puissance du processus de globalisation. Ce processus est prĂ©sentĂ© comme irrĂ©versible. Tous, mĂȘme les alter-mondialistes, semblent considĂ©rer que cette globalisation de l’Ă©conomie est un concept durable. L’opposition n’est pas axĂ©e sur la globalisation en tant que telle – chacun profite notamment de son principal outil de communication qu’est le rĂ©seau Internet -, mais sur certaines dĂ©rives sociales et humaines, voire politiques. Pourtant, lorsque l’on examine ce que pourrait ĂȘtre le monde vers le milieu du XXIe siĂšcle, on est en droit de se poser la question de la pĂ©rennitĂ© de la globalisation. Ce qui n’est pas sans intĂ©rĂȘt pour l’immĂ©diat. En effet, si la globalisation n’est valable qu’Ă  court terme, on peut se demander si nous ne sommes pas en train de galvauder notre futur, de dĂ©truire des choses que nous aurons bien du mal Ă  reconstruire.

La globalisation requiert, pour ĂȘtre efficace, plusieurs conditions, notamment gĂ©opolitiques et techniques. Au niveau gĂ©opolitique, elle signifie la rĂ©partition du monde en plusieurs zones. Les pays sont rĂ©partis en trois grandes catĂ©gories. Il y a ceux qui fournissent les matiĂšres agricoles et minĂ©rales de base. Ce sont, notamment, les pays africains et les exportateurs de pĂ©trole. Ensuite, on compte les pays qui fournissent la main-d’œuvre bon marchĂ© et s’acquittent de la production en sĂ©rie. Ce sont, par exemple, le Sud-Est asiatique et l’Europe de l’Est. Enfin, il y a ceux qui fournissent l’information, l’innovation, les finances, et qui consomment ce que les autres produisent. Ce sont les pays dĂ©veloppĂ©s d’AmĂ©rique du Nord, d’Europe, le Japon et quelques-autres. Ce classement n’est pas exclusif. Certains pays sont dans plusieurs catĂ©gories Ă  la fois. Ainsi, les Etats-Unis sont dans la premiĂšre, car fournisseurs mondiaux de cĂ©rĂ©ales. Ils occupent aussi la deuxiĂšme, par les industries automobiles et aĂ©ronautiques. Il en est de mĂȘme des pays europĂ©ens. L’idĂ©al n’est pas de n’ĂȘtre prĂ©sent que dans une catĂ©gorie, mais si possible dans les trois.

Pour fonctionner, un tel « ordre mondial » nĂ©cessite des outils techniques spĂ©cifiques. Ce sont notamment ceux liĂ©s Ă  la communication et au transport. Internet est l’outil indispensable de la communication. Si Internet s’est dĂ©veloppĂ© aussi rapidement, c’est qu’il est nĂ©cessaire pour que nous, les puissants, puissions garder la domination Ă©conomique, mais surtout intellectuelle du monde, pour que nous restions puissants. L’autre outil indispensable de la globalisation, ce sont les transports. Il ne suffit pas de communiquer, il faut aussi que les marchandises voyagent d’une rĂ©gion Ă  une autre. Les denrĂ©es alimentaires d’Afrique ou d’AmĂ©rique latine doivent ĂȘtre transportĂ©es vers les pays dĂ©veloppĂ©s, puis distribuĂ©es. Les vĂȘtements fabriquĂ©s en Asie du Sud-Est doivent ĂȘtre transportĂ©s vers l’Europe et y ĂȘtre distribuĂ©s. Les piĂšces de machines fabriquĂ©es en Espagne doivent ĂȘtre transportĂ©es « just in time » vers une usine situĂ©e en France ou en Allemagne. Et ainsi de suite. Les transports sont souvent effectuĂ©s par camions. Lesquels nĂ©cessitent du pĂ©trole. D’oĂč, aussi, une nĂ©cessaire sĂ©curitĂ© d’approvisionnement. Les conflits en Afghanistan et en Irak nous rappellent que les armĂ©es, surtout amĂ©ricaine, y veillent.

Mais l’actualitĂ© nous indique que l’Ă©re du pĂ©trole bon marchĂ© se termine. Et avec elle, notamment, la fin du transport international par camions et, vraisemblablement par avions. La globalisation pourra-t-elle alors encore fonctionner ? Sans les innombrables camions qui circulent sur nos autoroutes europĂ©ennes, comment fonctionneront nos industries, nos commerces, approvisionnĂ©s en flux tendu ? Une partie des transports pourront s’effectuer par rail ou par les voies d’eau. Mais ce sera moins rapide, moins confortable, avec des dĂ©lais plus longs. Nul doute que l’organisation de l’Ă©conomie sera modifiĂ©e considĂ©rablement. Quels rĂŽles joueront alors la grande distribution, les grandes sociĂ©tĂ©s multinationales ?. Les produits fabriquĂ©s Ă  l’autre bout du monde (Chine, AmĂ©rique latine) seront-ils encore acheminĂ©s rapidement vers l’Europe et les Etats-Unis ? Aujourd’hui, personne ne semble se poser les questions ? Il est vrai qu’il s’agit du long terme, et que l’Ă©conomie ne concerne que le court terme. En tout cas pour les patrons et les actionnaires contemporains. Mais pour les gĂ©nĂ©rations futures ?
Depuis plusieurs dĂ©cennies, on nous conduit Ă  une sociĂ©tĂ© oĂč les regroupements, les fusions de petites entitĂ©s en des entreprises de taille mondiale sont la rĂšgle. A-t-on jamais rĂ©flĂ©chi au fait qu’une telle politique est associĂ©e Ă  une sociĂ©tĂ© oĂč le transport et le pĂ©trole sont omniprĂ©sents ? La globalisation ne serait-elle qu’un concept Ă©phĂ©mĂšre ? Il faut au moins se poser la question.

Car si tel est le cas, il est temps de freiner le processus. Et ce, d’autant plus vite que la globalisation conduit Ă  des effets irrĂ©versibles, qui mettront Ă  mal tout dĂ©sir de changement vers un monde durable. Mais un tel changement d’orientation ne se fera pas sans difficultĂ©s.
Le chemin de la globalisation monopolise des fonds importants. Sortir du processus pour mettre sur pied une sociĂ©tĂ© durable en demandera aussi beaucoup. RedĂ©ploiement des transports en commun, du rail, des fleuves ; retour au commerce local, Ă  l’agriculture locale ; redĂ©finition du dĂ©veloppement des industries, du tourisme, du commerce,… Alors, si la globalisation n’est peut-ĂȘtre qu’un processus Ă©phĂ©mĂšre, ne conviendrait-il pas de rĂ©flĂ©chir avant d’agir, afin de pouvoir construire un monde durable ? Et ne serait-ce pas Ă  nous, EuropĂ©ens, de donner l’exemple, afin de montrer au monde ce que signifie ĂȘtre une puissance mondiale : responsable et soucieux de l’avenir de toute la planĂšte.