Offensive « aérienne » contre Bruxelles

Le plan Start lancé par Yves Leterme prépare le développement d’une véritable ville d’affaires à côté de l’aéroport de Bruxelles-National où des centaines de milliers de mètres carrés de bureaux seront construits. Pour contribuer à les remplir, l’objectif est de doubler à terme le trafic aérien. C’est pourquoi le plan Start est présenté au nord du pays comme lié au plan de dispersion des nuisances sonores. En Région bruxelloise, Start deviendra synonyme de déperdition économique. Parmi les entreprises déjà implantées à Bruxelles et celles qui pourraient s’y installer, combien résisteront à la tentation de se localiser à Zaventem ? Quel dirigeant flamand choisira de ne pas s’implanter dans la nouvelle « Porte internationale de la Flandre » ?

Par combien de firmes étrangères seront-ils imités ? Les 821
millions d’euros qui seront investis dans Start vont exacerber les tensions concurrentielles actuelles.
Des entreprises de plus en plus nombreuses délaisseront
les bureaux déjà vides de l’est de Bruxelles et s’installeront à quelques encablures pour profiter à
la fois de la proximité de la capitale de l’Europe et de l’aéroport, de l’image de dynamisme de la Flandre, et du réservoir de main-d’oeuvre qualifiée et polyglotte
que contient le Brabant flamand. Pour faire valoir ses atouts, la Région bruxelloise devra lutter pied à pied. Bien sûr, des mesurettes destinées à stimuler l’emploi de chômeurs bruxellois trilingues à Zaventem lui seront
offertes en aumône. A cela, les représentants du gouvernement bruxellois ont sagement répondu ne pas vouloir réduire l’habitabilité de communes entières pour si peu. Le plan Start représente une grave menace environnementale
pour Bruxelles.

Grosso modo, la vocation du plan de dispersion était de diviserpar deux les nuisances dans le noordrand afin que la pression sur ses habitants ne puisse jamais dépasser le niveau initial. Un rapide calcul permet de comprendre
que la charge des nuisances sur Bruxelles, l’oostrand
et le nord du Brabant wallon, au moins doublée depuis le plan Anciaux, devrait à terme être quadruplée à cause de Start (et davantage pour les victimes de la piste 02). Le plan de dispersion n’est rien d’autre qu’un plan de captation, un transfert d’habitabilité depuis une zone bruxelloise et francophone vers une zone authentiquement flamande. Affirmer qu’il puisse être « équitable» de répartir des nuisances entre des quartiers inégalement
survolés dans le passé, tout en dépassant allégrement les seuils de tolérance, est un mensonge absurde. Au contraire, l’abaissement de la charge sonore en Brabant flamand accélérera le processus de déperdition que Start
causera à l’économie bruxelloise en facilitant l’habitat à proximité de l’aéroport. Jamais aucun autre moyen d’affaiblir Bruxellesn’aura été aussi efficace. Le plan
Start et le plan de dispersion des nuisances sonores forment ensemble un avantage démesuré.

Peut-on oublier que Bruxelles-National a été financé par tousles Belges, donc par les Bruxellois et les Wallons aussi ? Pendant des décennies et à coups d’innombrables milliards de francs, souvent via la Sabena, l’aéroport s’est développé à lasuite d’investissements pharaoniques
et au fil des plans de sauvetage.

Récemment, le ministre régional flamand Kris Peeters a admis
que plus de 90 % des emplois qui dépendent de l’aéroport
sont flamands. Johan Vande Lanotte a garanti le caractère
flamand de l’essentiel des futurs emplois avec son projet Diabolo, financé par les fonds fédéraux de la SNCB, qui tiendra lieu de RER entre l’aéroport de Zaventem et les agglomérations voisines en Flandre. Alors que la contribution d’actifs « nationaux » au plan Start est considérable, le plan Marshall d’Elio Di Rupo devra,
quant à lui, se faire avec les seuls moyens financiers de la Région wallonne. Pour le moins, il appartient à la Région flamande d’assumer les conséquences de ses projets de développement maximalistes sans chercher à reporter
sur ses partenaires les responsabilités qui lui incombent
pleinement vis-à-vis de sa population. Sans se soucier de vraisemblance, certaines personnalités politiques de tous bords en Flandre traitent les Bruxellois d’égoïstes parce qu’ils refusent de partager les nuisances sonores
en inflation à cause des plans Anciaux et Start. Ce genre d’imprécation n’aurait pas le moindre impact si la menace de réactions nationalistes extrêmes en Flandre ne leur servait pas de caution. En brandissant le Vlaams Belang comme un épouvantail, comme une arme, les partis flamands donnent une crédibilité très artificielle à des arguments
non étayés. Accepter de les entendre, c’est alimenter
un processus malsain par une aptitude excessive à la soumission. En réalité, s’il y a « solidarité » invoquée, c’est qu’il y a transfert avoué ; en l’occurrence, le sacrifice des intérêts vitaux de la Région bruxelloise en contribution nette au plan Start et en compensation
de l’argent flamand versé à la Wallonie. En clair, c’est
« laissez-nous piller Bruxelles ou financez votre sécurité sociale vous-même ». Voilà une épreuve qui nous éclairera sur la réalité de la destinée commune entre Bruxellois et Wallons. Et sur leur capacité à résister de concert
aux formes les plus grossières du chantage. Las, au fédéral les partenaires francophones abandonnent dos à dos les Régions et laissent le ministre Landuyt être l’instrument docile de Bert Anciaux. Chacun comprend que Didier
Reynders et Laurette Onkelinx défendent le principe de dispersion rendu exsangue par les assauts juridiques pour ne pas tomber avec le gouvernement qui ne va guère mieux. La Région bruxelloise n’a plus qu’à user de son droit de légitime défense.

Aucune grande ville européenne n’a à subir autant de nuisances aériennes pour des motifs uniquement politiques. Si des avions en surnombre devaient continuer à prouver leur
trop insigne faiblesse aux Bruxellois, jour et nuit, année après année, jamais Bruxelles ne pourrait se convaincre de sa capacité d’autodétermination et encore moins en persuader ses voisins. Le combat pour la défense de ses
normes de bruit est devenu emblématique de la lutte pour la
reconnaissance de son autonomie. La crise des nuisances aériennes est une épreuve de vérité. De ce conflit, Bruxelles sortira renforcé ou sans grand espoir pour son avenir.