Gouverner, c’est aussi prévoir

L’origine de la nouvelle crise vécue par le gouvernement fédéral est fréquemment mise sur le compte de décisions judiciaires « irresponsables » ou de « l’égoïsme » des victimes des nuisances aériennes. Déjà, lors de la crise « DHL » le gouvernement avait tenté d’en reporter la responsabilité sur les victimes des vols de nuit, qui plaçaient leur santé et leur sommeil avant le développement de l’emploi.

Ne serait-ce ce pas plutôt du côté de l’imprévoyance des gouvernements successifs qu’il faudrait rechercher les causes fondamentales de ces crises à répétition, à propos de l’aéroport fédéral ?
Contrairement à Paris, Francfort ou Amsterdam, l’aéroport de Zaventem n’a jamais fait l’objet d’un plan de développement durable à long terme et son caractère résolument urbain n’a jamais été pris en compte. Contrairement à Munich, Oslo ou Milan, la question de sa relocalisation, même partielle, n’a jamais été envisagée sérieusement. Même l’aménagement du territoire autour de l’aéroport n’a pas tenu compte de la présence de cette infrastructure.

Aujourd’hui, face aux contestations qui fusent de toutes parts, mais aussi face à l’imbroglio juridique qui se développe à propos de la dispersion des nuisances, le gouvernement fédéral cherche une porte de sortie honorable pour mettre fin à cette situation intenable aux relents communautaires.

Le fédéral a essayé de confier la recherche d’une solution aux gouvernements régionaux de Flandre et de Bruxelles. Ceux-ci sont toujours dans l’impasse : leurs conciliabules secrets n’ont toujours pas débouché sur une proposition commune.

C’est que la problématique, exploitée sur le plan communautaire, est en réalité un conflit d’intérêts entre ces deux régions. Elle n’oppose pas les citoyens néerlandophones aux francophones, puisque plus de 100.000 Bruxellois néerlandophones habitent la région de Bruxelles-Capitale et que de nombreux francophones habitent certaines communes flamandes proches de Bruxelles.
Le conflit d’intérêts oppose bien la Flandre à Bruxelles et non les néerlandophones aux francophones.

La position de la Flandre

L’aéroport fédéral de Zaventem – implanté sur le territoire de la Flandre – est aussi sa principale porte d’entrée internationale, avec Antwerpen et Zeebrugge. En termes d’emplois et de recettes fiscales, c’est la Flandre qui profite le plus des retombées économiques de cette infrastructure fédérale. Il est donc normal qu’elle s’oppose à tout ce qui pourrait limiter son expansion. L’attribution, par le Brabant flamand, d’un permis d’environnement « sur mesure » pour la société multinationale BIAC, n’a fait que confirmer cette volonté de développement, y compris pour les vols de nuit. Le plan de développe-ment START en est une autre. La politique de dispersion des nuisances aériennes est aussi une manière d’assurer l’expansion de l’aéroport, sans trop de frais d’infrastructures, et sans se trouver face à l’opposition des citoyens du Brabant flamand, qui ont été autorisés à construire légalement tout autour de l’aéroport, en l’absence de toute politique d’aménagement du territoire cohérente et responsable.

La position de Bruxelles

La région de Bruxelles-Capitale n’a pas été consultée au sujet du développement de l’aéroport, ce qui est dans la logique d’un État fédéral en voie de confédéralisme ou de séparatisme. Mais là où le conflit d’intérêts se précise, c’est lorsque l’on constate que la piste de décollage principale de l’aéroport s’arrête à moins de 2 Km de la région densément peuplée de Bruxelles-Capitale, et que les vents dominants imposent de décoller en direction de la ville. La région de Bruxelles, qui ne bénéficie ni d’un grand nombre d’emplois à Zaventem, ni des recettes fiscales liées à l’impôt sur les personnes et les sociétés, est censée imposer à sa population un nombre de décollages tel, qu’ils mettent en danger l’habitabilité de la ville et sa sécurité. Les compétences de la région de Bruxelles dans ce domaine se limitent à la seule protection de son environnement. L’Arrêté Bruit, qu’elle a promulgué en 1999 pour protéger ses citoyens, s’est avéré, jusqu’ici, fort peu dissuasif, Il est néanmoins contesté par la Flandre.
Un exode discret, des Bruxellois qui en ont les moyens, est déjà perceptible. Il contribue à la paupérisation de la ville. Le gouvernement bruxellois devra inévitablement s’opposer à tout dévelop-pement de l’aéroport de Zaventem, tant qu’il n’aura pas la garantie que les nuisances qu’il génère ne seront pas mises à charge des quartiers densément peuplés de la région de Bruxelles-Capitale.

Un combat inégal

Dans ce bras de fer entre les deux régions, force est de constater que Bruxelles est un nain politique par rapport à la Flandre, tant en termes de population, que de poids économique et de présence dans tous les organes de pouvoir et de décision fédéraux. Bruxelles ne peut compter sur le soutien du gouvernement wallon, troisième entité fédérée, qui hésite à prendre position dans un conflit qui ne la concerne que pour une petite partie du Brabant wallon et qui la mettrait en contradiction avec ses propres projets d’expansion à Bierset et à Gosselies.

Bruxelles est manifestement le maillon faible de ce combat. Sans l’Arrêt de la Cour d’Appel, il n’aurait pas dû être trop difficile de faire céder la région capitale, pour arriver à une solution et sauver le gouvernement fédéral.
Les récentes tentatives du ministre Landyt de « diaboliser » les citoyens bruxellois et leur gouverne-ment allaient aussi en ce sens : Bruxelles pourrait être responsable de la fermeture de l’aéroport dans les 3 mois, si l’Arrêt de la Cour d’Appel en sa faveur devait être signifié. Aucune allégation du même genre na été formulée lorsque l’Oostrand et le Noordrand ont fait signifier des Arrêts semblables en leur faveur. Pour « sauver » l’aéroport, Bruxelles devrait autoriser le survol de ses quartiers densément peuplés par les avions les plus bruyants, interdits par l’Arrêté Bruit de 1999, approuvé par le Conseil d’Etat. Ses normes sont qualifiées d’excessives, alors qu’elles sont plus laxistes que les normes recommandées par l’Organisation Mondiale de la Santé, dont la Belgique est un membre fondateur.

Il est évident que, dans un conflit avec de tels enjeux financiers, les intérêts légitimes des victimes de l’aéroport risquent toujours de passer au second plan. La santé, la sécurité et la qualité de vie des 300.000 citoyens bruxellois survolés ne seront certainement pas au centre des préoccupations du gouvernement fédéral et de la Flandre, dans la recherche d’une solution. Le projet de loi du ministre fédéral de la Mobilité place la sauvegarde de la santé et de la sécurité des populations survolées en 3ème position, après la sécurité des avions et le développement économique de BIAC et de l’aéroport.
Une campagne de désinformation, assez systématique, tendrait même à faire croire que la région de Bruxelles n’est pas survolée, et qu’il serait temps que les Bruxellois payent pour « leur aéroport de Bruxelles-National ». Même la presse flamande semble y perdre une partie de son sens critique et se trouve régulièrement confrontée à ses lecteurs bruxellois néerlandophones, qui ne se reconnaissent pas dans un certain nombre de leurs commentaires et éditoriaux en faveur d’un partage « équitable » des nuisances, qui ne tient pas compte de la densité des quartiers survolés.
En Flandre, une partie de la classe politique et une certaine presse affirment, tout à la fois, que Bruxelles est épargnée, et déclarent, en même temps, que Bruxelles condamnerait l’aéroport à la fermeture, si elle devait maintenir son Arrêté bruit de 1999, qui n’interdit cependant que les avions vraiment très bruyants.

C’est dans ce climat délétère – et parfois même revanchard vis-à-vis des Bruxellois, après l’issue de l’affaire BHV – qu’une solution durable doit être recherchée sereinement par la classe politique.

La solution du bon sens

Pour tout observateur extérieur, et pour la plupart des experts internationaux qui connaissent la situation géographique particulière de l’aéroport de Zaventem, la solution coule de source : il faut recréer les couloirs « IN » et « OUT » sous lesquels il n’aurait jamais fallu permettre de constructions résidentielles. Il faut les tracer au-dessus des zones les moins peuplées et proposer ensuite l’expropriation volontaire aux personnes qui seront les victimes de ces décisions. C’est une décision politique difficile, mais préférable à la dispersion des nuisances, qui augmente le nombre de victimes, sans pouvoir financer leur expropriation. C’est aussi la réponse qu’avait formulée le bureau hollandais AAC, chargé de rechercher des solutions par le gouvernement Verhofstadt I, sur proposition de la ministre de la Mobilité Isabelle Durant.
Le gouvernement fédéral et les gouvernements de Flandre et de Bruxelles avaient déjà marqué leur accord sur ce programme de concentration et d’indemnisation pour les vols de nuit. L’erreur commise par la ministre, fut de mettre partiellement cette concentration en œuvre, avant même d’avoir proposé l’expropriation à qui que ce soit et en n’ayant pas attendu l’interdiction programmée des bruyants avions « hushkittés ». L’opposition massive des victimes de cette concentration sans indemnisation était prévisible et ne s’est pas fait attendre. A peine amorcée, la solution de la concentration était condamnée sans appel. La mise en application malhabile du plan de concentration a provoqué le rejet du principe même de la concentration, devenu la bête noire des partis flamands, aiguillonnés par le Vlaams Blok.

Le gouvernement Verhofstadt II a remplacé sa politique de « concentration » par une politique de « dispersion équitable » des nuisances. Cette politique a multiplié le nombre de personnes exposées aux nuisances, en ne tenant pas compte de la densité des zones survolées. Pour le ministre Anciaux, chargé de sa mise en application, une zone agricole ne devait pas être davantage survolée qu’un quartier habité de Schaerbeek ou de Wezembeek. Toujours pas évaluée, cette politique de dispersion, amorcée par la ministre Onkelinx, a fait exploser le nombre de plaintes et a fait l’unanimité contre elle, dans les milieux économiques comme dans la population.

Y a-t-il un avenir durable pour l’aéroport urbain de Zaventem ?

Pour un aéroport aussi proche d’une grande ville, et entouré de nouvelles zones résidentielles de plus en plus nombreuses, il semble n’y avoir que deux issues :

-* se maintenir à Zaventem, en limitant ses activités au transport de passagers à destination des grandes villes européennes entre 07 h et 22 h
-* se délocaliser (au moins partiellement) vers une région moins peuplée pour pouvoir développer un projet de grande plate forme européenne, après avoir exproprié les riverains

Poursuivre le développement de l’aéroport implanté à Zaventem, en multipliant les liaisons intercontinentales et en augmentant le fret et les vols de nuit, conduira inévitablement à la révolte des personnes survolées et à la prise en compte de leur situation par le pouvoir judiciaire et par leurs élus.

Un plan en 10 points pour un avenir durable de l’aéroport a été proposé par l’association Bruxelles Air Libre Brussel (1).

Un plan « provisoire »

Les différentes composantes du gouvernement fédéral se sont avérées incapables de se mettre d’accord sur un plan à long terme, qui confirme Zaventem dans sa fonction d’aéroport urbain.

Le gouvernement fédéral cherche donc à gagner du temps, en faisant des propositions, visant à calmer les esprits, à limiter les interventions du pouvoir judicaire et à juguler la contestation des victimes.

Les parlementaires flamands souhaitent avoir l’accord de leurs collègues francophones, pour bétonner le principe de dispersion des nuisances, dans le cadre d’un projet de loi que le ministre Landuyt vient de présenter. Ce projet de loi subordonne aussi la sécurité et la santé des personnes survolées, à la sécurité des avions et au développement de l’emploi et de l’économie de la région aéroportuaire et de la société multinationale BIAC, qui gère l’aéroport de Zaventem.

Une partie de la classe politique francophone se rassemble autour de l’idée d’un retour à la situation de 1999. Un retour à propos duquel, les définitions divergent ou restent fort imprécises. Certaines associations de riverains soutiennent ce retour à 99, parce qu’elles pensent que ces procédures n’étaient pas contestées. D’autres associations affirment, qu’en 1999 déjà, elles contestaient les survols abusifs de la région la plus peuplée du pays, sans que le pouvoir politique y prête attention. Pour elles, cette solution « provisoire » conduira inévitablement à un accroissement du nombre de personnes survolées et est donc inacceptable.
Vu l’imprécision des modalités de ce retour à 99, il est difficile d’en préciser exactement les retombées pour les citoyens bruxellois. Trois mesures vont cependant inévitablement à accroître le survol de la région de Bruxelles :

-# le recours intensif à la piste de décollage braquée sur Bruxelles, avec des virages à gauche et à droite qui ne mettent pas de limites à la pénétration dans l’espace aérien bruxellois
-# le retour de la route Chabert qui traverse la région de part en part tous les WE de l’année
-# le maintien probable de la route du canal pour les vols de nuit, qui n’existait pas en 99.

Ces mesures viendraient s’additionner aux conséquences des nombreux virages à gauche, depuis la piste 25R, qui sont devenus insupportables pour Bruxelles depuis près de 3 ans et que le service de médiation s’avère incapable d’expliquer. Quant à la route dite « du ring », qui survole Laeken et Ganshoren de jour comme de nuit, rien ne garantit qu’elle ne viendra plus perturber des dizaines de milliers de Bruxellois.

Ce retour à 99 est généralement présenté comme une première phase, en vue de diminuer les intolérables souffrances imposées arbitrairement l’Est de Bruxelles et à sa périphérie. Bien qu’aucun accord n’existe entre ministres flamands et francophones du gouvernement fédéral à propos de cette première phase, beaucoup de Bruxellois s’interrogent déjà à propos des conséquences de cette solution provisoire, dont leur région ferait les frais.
Quelles garanties seraient offertes à Bruxelles concernant une hypothétique deuxième phase ? Ni le contenu ni la date de mise en œuvre ne sont à l’ordre du jour. Quel serait l’objectif de cette deuxième phase ? Quelles garanties à propos de son caractère irrévocable ?

Après avoir été mise au frigo, sans statut, pendant plus de 10 ans, la communauté urbaine de Bruxelles sait que le provisoire est souvent ce qui dure le plus longtemps en Belgique. Après les promesses, non tenues, de réaliser un véritable cadastre du bruit quartier par quartier, de créer une autorité de contrôle et de verbalisation indépendante et de reculer les seuils de piste, elle sera probablement très réticente vis-à-vis de cette solution « provisoire » sans les garanties indispensables.

Quelles perspectives s’offrent au gouvernement fédéral ?

Si le retour à 1999 est refusé par le SP.A, mis sous pression par Bert Anciaux, si le projet de loi Landuyt – qui entend légaliser le principe de dispersion des vols – fait l’objet d’une guerre des amendements de la part des députés francophones, le gouvernement fédéral aura-t-il une autre issue que la mise à l’étude rapide d’un plan à long terme pour l’avenir de son aéroport ?

Gouverner, c’est prévoir. Il y a trop longtemps déjà que l’aéroport de Zaventem ne fait l’objet d’aucun plan à long terme. C’est toujours parce qu’il était trop tard pour envisager une autre solution, que les gouvernements successifs ont accepté d’encore agrandir, cet aéroport mal localisé.

C’est sans aucune vision d’avenir – présentée aux élus de la nation – que l’Etat a vendu les terrains de l’aéroport à BIAC à bas prix, qu’il lui a octroyé une nouvelle licence d’exploitation aux contraintes environnementales très limitées et qu’il a finalement vendu ses parts à la société privée australienne Macquarie. Cette société privée possède, aujourd’hui, 70% des parts de BIAC et compte bien tirer un profit maximum du laxisme dont l’Etat a fait preuve en vue de bien vendre ses parts. Macquarie menace déjà, d’exiger le remboursement de ses parts, si de nouvelles mesures devaient l’empêcher d’augmenter le trafic aérien.

C’est dans cette situation difficile, dans laquelle il s’est placé, que le gouvernement va devoir opérer des choix importants.

Face à la détermination de la Flandre, et à la relative indifférence de la Wallonie, c’est de la considération dont bénéficiera la situation de la Région de Bruxelles-Capitale que dépendra l’issue de ce conflit d’intérêts inter régional.

L’option retenue pourrait bien avoir des conséquences, qui dépassent largement la seule problématique aérienne, pour éprouver les limites de la solidarité et du fédéralisme d’union et relancer ainsi certaines aspirations séparatistes.

L’Arrêt rendu récemment par le pouvoir judiciaire, en faveur de la ministre bruxelloise de l’Environnement, vient cependant de changer quelque peu la donne. En proposant volontairement de retarder la signification de ce jugement, la région de Bruxelles donne au gouvernement fédéral le temps de la réflexion et se trouve en position de force. Elle pourrait exiger la recherche d’une solution à long terme, qui subordonnerait le développement de l’économie et de l’emploi de la zone aéroportuaire au respect de la santé et de la sécurité des personnes qui en sont actuellement les victimes. Elle pourrait même demander que l’ensemble du trafic de nuit et le trafic de jour excédentaire soient délocalisés vers un second aéroport fédéral, mieux situé.

Le gouvernement Verhofstadt II est à la croisée des chemins.

Il a l’opportunité de démontrer sa capacité à sortir de la crise par le haut.
La proposition du vice-premier ministre Didier Reynders, de répartir le trafic de Zaventem sur deux aéroports fédéraux, va déjà dans le sens d’une réflexion plus globale sur l’avenir de l’aéroport.
Verhofstadt II pourrait ainsi garantir à Zaventem l’avenir durable auquel ses employés et ses investisseurs aspirent, sans vivre en permanence dans une insécurité juridique et politique, alimentée par les plaintes d’un nombre excessif de personnes, victimes d’un développement économique incompatible avec sa situation géographique.

Le gouvernement Verhofstadt sera-t-il en mesure de saisir cette opportunité ?

Yvan Vandenbergh

un Bruxellois survolé

membre de Bruxelles Air Libre Brussel