Perspectives de l’aéroport de Bruxelles-Nord à Zaventem

Le principe de dispersion des nuisances sonores de l’aéroport de Zaventem adopté par l’actuelle coalition violette répond à une exigence de la Flandre pour une répartition plus équilibrée des contraintes liées à l’exploitation de l’aéroport. Pourtant, lorsque la crise DHL éclate en septembre 2004, des chiffres révélateurs apparaissent. Seuls 5% des employés du géant européen de la logistique sont bruxellois. C’est-à-dire presque rien. En réalité, dans ce dossier où les schémas simplificateurs – quelquefois les entreprises de désinformations – ont été une malheureuse constante, on constate que les principaux bénéficiaires du développement de l’aéroport de Zaventem sont depuis longtemps flamands ; et le seront de plus en plus.

Gauthier van Outryve

Rédacteur en Chef de Mille Décibels

Une « Porte internationale pour la Flandre »

En Flandre, où l’aéroport de Zaventem est considéré comme le second poumon économique de la Région, après le port d’Anvers, on a vu une solution au moins provisoire dans la dilution des nuisances par la dispersion. Etaler au maximum la charge du bruit pour augmenter le seuil de tolérance global. Il n’y a rien d’éthique au fondement de ce raisonnement, ce n’est qu’une pensée arithmétique que l’on a ensuite déguisée, tant bien que mal, en affirmation morale. Mais cette idée est venue bien à point et à un moment crucial pour la Flandre. Peut-être même crucial au point d’influer sur son destin historique. Dans les esprits de la classe politique flamande, malgré un décalage évident avec la population, l’évolution de la Belgique laisse présager une scission possible. Mais si la Flandre prend son indépendance, il est plus que probable que Bruxelles refusera de la rejoindre dans son sein. Faire de la Flandre un pays indépendant au prix de la perte de son ouverture au monde extérieur, à l’époque de la mondialisation, est impossible à envisager sérieusement. Le gouvernement flamand a donc entrepris de faire de Zaventem la « Porte internationale de la Flandre ». Il prévoit d’y créer un pôle économique majeur et surtout le principal moyen de liaison entre la Flandre et les marchés internationaux.

La Belgique en perte d’équilibre

En créant une « Porte internationale de la Flandre » à quelques encablures des limites de Bruxelles, ce sera une bonne part de l’attractivité économique de la capitale de l’Europe qui se trouvera délocalisée sur le territoire flamand. Aujourd’hui, les francophones pensent – sans doute à juste titre – que leur leadership sur Bruxelles suffit à maintenir debout l’édifice de la Belgique. Pour la Wallonie, la main posée sur Bruxelles reste le principal moyen de maintenir les transferts de richesse en provenance de Flandre. Le Président du PS, Elio Di Rupo, a prononcé un discours clé en juillet 2004 qui n’a laissé aucune place à l’équivoque. Il a fait cette mise en garde : si la Flandre veut son autonomie, elle perdra Bruxelles. La menace, devenue un leitmotiv depuis lors, modifie pour un temps le rapport de force communautaire. Cela pourrait ne pas durer. Au fur et à mesure que la « Porte internationale de la Flandre » s’ouvrira, il en est une autre qui pourrait se refermer. Celle de la Belgique fédérale, peut-être de la Belgique tout court, qui pourrait ne pas survivre à la capacité pleinement acquise par la Flandre d’une liaison autonome au marché économique mondial.

De grands moyens pour de grandes ambitions

Comment rendre possible et réaliste un projet aussi ambitieux que la création de cette « Porte internationale de la Flandre » à Zaventem ? Une opportunité s’est présentée, saisie de main de maître par le SPA-Spirit qui détient actuellement la maîtrise de tout le secteur de la mobilité en Belgique. Son homme fort, Johan Vande Lanotte, a aperçu très tôt que la quasi-dénationalisation de la BIAC rendait possible un plan stratégique qui semble imparable. Pour le comprendre, il faut revenir quelques mois avant la vente de la BIAC. L’estimation des 70% mises en vente se situait alors entre 400 et 500 millions d’euros. Dans l’intervalle, DHL annonce sa décision de quitter Zaventem à moyen terme. La compétition ne laisse en lice que Macquarie et un groupe espagnol qui lui est inféodé. La situation n’était donc pas favorable à une inflation du prix de vente. Contre toute attente, la transaction approchera pourtant les 750 millions d’euros. Que s’est-il passé ? A toute bizarrerie correspond forcément une explication. C’est la Ministre de l’environnement bruxelloise, Evelyne Huytebroeck, qui la fournit dans une interview à notre revue en décembre 2004. Elle révèle que dans le cadre de l’achat, Macquarie a acquis la possibilité de construire un immense « business center » à proximité de l’aéroport. Il apparaît, selon la Ministre, que ce pourrait être la partie la plus juteuse de la transaction, plus encore que l’aéroport lui-même. Des centaines de milliers de mètres carrés de bureaux vont être construits autour et aux alentours de Zaventem. Ce sont des dizaines de milliers d’emplois à haute valeur ajoutée qui pourront s’y concentrer. La « Porte internationale de la Flandre » a trouvé son maître d’œuvre.

Bruxelles perd sur tous les tableaux

Dans le projet de « Porte internationale de la Flandre », tel qu’il est défini par le Président Yves Leterme, assurer l’habitabilité du territoire flamand autour de cette zone économique figure parmi les priorités. Noir sur blanc. Pour attirer des entreprises, il faut mettre des lieux de vie accueillants à disposition de leurs employés. En parfaite coordination avec les Ministres de la Mobilité fédéral successifs du gouvernement Verhofstadt II, sans surprise des représentants du SPA-Spirit, un transfert massif d’habitabilité de Bruxelles vers la Flandre est organisé en parallèle du plan de captation économique. Les deux mouvements apparaissent complémentaires. La région bruxelloise est invitée à assister passivement à la double spoliation dont elle est la victime : l’une sur le plan économique et l’autre sur le plan de l’habitabilité. Les activités aéroportuaires de Zaventem, encouragées par une véritable dumping environnemental, ont reçu un cadre d’exploitation on ne peut plus permissif. Johan Vande Lanotte a veillé à ce que cela soit le cas pour la licence contenue dans le contrat de gestion de la BIAC. La députation provinciale a offert un permis d’environnement qui ne contient presque aucune limite. Le plafond des 25.000 vols de nuit a été confirmé par le Ministre flamand de l’Environnement. Toutes ces dispositions, qui exigent un tribut environnemental énorme, ont été adoptées de manière unilatérale par la Flandre, contre la volonté des bruxellois qui ont dû multiplier les recours en justice.

Le fédéral comme cheval de Troie

Dans le cadre de la vente de BIAC, Johan Vande Lanotte a utilisé l’autorité fédérale au plus grand profit de la Flandre. Les terrains attenants à l’aéroport de Bruxelles-National qui seront utilisés pour accueillir la « Porte internationale de la Flandre » auraient pu être exploités au profit de tous les belges. Ils serviront à accueillir des entreprises qui quitteront Bruxelles, ou qui auraient pu s’y installer, ou qui auraient pu choisir une implantation dans le Brabant wallon. Bruxelles, sans qui l’aéroport de Zaventem ne serait rien, en ressort très largement perdante. La Wallonie, à cause d’un possible renversement de l’équilibre global en Belgique, peut-être encore plus ; ce que ses gouvernants myopes ne semblent pas avoir encore aperçu. Mais depuis l’adoption du plan Anciaux, la conscientisation de la classe politique francophone a beaucoup évolué, aussi bien au niveau du pouvoir fédéral qu’à la Région bruxelloise, et non moins dans les oppositions. La tentation de sacrifier l’habitabilité de Bruxelles pour « arrondir les angles » avec la Flandre, par facilité, n’existe plus.

De la poudre aux yeux

Le plan de dispersion a joué le rôle d’un formidable écran de fumée. Les avantages économiques et politiques acquis par la Flandre dans ce dossier sont rendus invisibles par le tollé suscité par le plan Anciaux. L’ancien Ministre de la Mobilité a porté la logique de la dispersion jusqu’à l’absurde. Des quartiers entiers de Bruxelles et de l’oostrand ont à subir une charge sonore qui n’a rien de supportable. Le plan de dispersion a rendu invivables des zones densément peuplées qui ne se réduisent d’ailleurs pas à l’est de la capitale. Outre Woluwé ou Auderghem, il y a notamment à Laeken ou Schaerbeek des habitants que l’arrivée des vols de nuit a rendu malades. Dans le Brabant flamand, comme à Steenokkerzeel et dans bien d’autres communes, l’aéroport est devenu synonyme de calamité depuis la mise en oeuvre du plan Anciaux. Le débat politique se concentre donc, et de manière assez artificielle, sur l’aspect environnemental. Il s’inscrit dans un contexte de conflit entre communautés linguistiques, dans un Brabant flamand qui est devenu une poudrière institutionnelle. L’effet centrifuge sur les structures de la Belgique ne s’est pas fait attendre. La crise DHL aura été le déclencheur d’un processus d’affaiblissement du pouvoir fédéral en Belgique (voir notre interview de Charles Picqué à ce sujet). Il y a danger à considérer Bert Anciaux comme un politicien un peu simple et obtus, surtout soucieux du clientélisme à réserver à son pré-carré électoral. Nationaliste flamand convaincu, les bénéfices de sa démarche vont bien au-delà. Moins subtils, les élus locaux du parti Spirit dans le noordrand (parmi eux le frère et la sœur de Bert Anciaux) laissent mieux apercevoir leur véritable motivation en exigeant la régionalisation de l’aéroport au cas où le principe de dispersion ne serait pas appliqué dans une acceptation maximaliste … qu’ils savent inacceptable pour les partis francophones.
Un aéroport qui est déjà essentiellement flamand

Pour l’heure, en filigrane des propos tenus par beaucoup de politiques flamands, revient en effet cette idée que si Bruxelles ne veut pas du bruit, il serait normal que la Flandre devienne pleine propriétaire de l’aéroport. Mais c’est pourtant déjà le cas. Comment l’aéroport de Zaventem, dans la logique de développement que lui a désormais donné le SPA-Spirit, pourrait-il devenir encore plus flamand ? Ce ne sont pas les 30% d’actions de la BIAC détenus par le fédéral qui permettront d’y changer quoi que ce soit. Zaventem est aujourd’hui un aéroport à capitaux privés situé en Flandre. Vouloir en faire un aéroport à l’identité flamande n’aurait qu’un impact symbolique, pas économique. Il serait même néfaste pour l’aéroport de trop se distinguer de l’image de Bruxelles. Ce n’est pas la Flandre qui est la capitale de l’Europe. Cette idée ne servirait qu’à faire progresser encore la logique séparatiste qui consiste à couper, l’une après l’autre, les amarres qui retiennent la Flandre au quai de la Belgique. Au risque de détruire des structures productrices de plus-values qui ont une valeur stratégique irremplaçable. Ceux qui veulent toujours plus de Flandre ne veulent pas toujours le bien de la Flandre. A l’aube du XXIème siècle, le nationalisme débridé, qui se nourrit des antagonismes, reste un poison.

Utiliser le mécontentement de la population

On se remémore les affres du gouvernement wallon après qu’il ait décidé de sacrifier l’habitabilité de la zone de Bierset, et le colossal investissement qu’ils ont dû concéder pour apporter des mesures correctrices au sol. C’est une blessure qui reste ouverte. A Zaventem, il aura suffi de désigner un ennemi extérieur – une sorte de monstre hybride francophone, bourgeois, eurocrate et bruxellois – pour réduire à presque rien les réactions de rejet de l’aéroport au sein de la population du noordrand. Défendre le principe de dispersion monopolise tous leurs efforts. C’est au demeurant une mesure de compensation totalement gratuite. Des mesures correctrices au sol, comme l’expropriation ou l’isolation acoustique des habitations auxquelles tout citoyen privé de sommeil devrait avoir droit, contraindraient de revenir à une certaine concentration des nuisances dans les zones moins densément peuplées. La Région wallonne se saigne aux quatre veines pour Bierset. La Flandre, bien plus riche, use de stratagèmes pour se soustraire à ses responsabilités.


Les vols de nuit surnuméraires

L’aéroport, chacun le sait, est implanté trop près de la ville et de zones périphériques densément peuplées. La politique urbanistique du Brabant flamand, tout à fait imprévoyante, lui a fait perdre une grande partie des espaces de dégagement qui lui aurait permis de se déployer. Pendant les dernières décennies, des permis de construire ont été délivrés dans des communes qui avoisinent l’aéroport, là où il n’y avait que des champs. Chez les pilotes qui ont vu cette évolution, les anciens, on appelait cela un « trésor ». Ils ont assisté incrédules à sa dilapidation, voyant pousser dans le Brabant flamand des lotissements de jolies villas sous telle ou telle trajectoire dont l’usage était destiné à s’intensifier. Avec l’accroissement de l’activité aéroportuaire, l’habitabilité se réduit et se réduira encore. La décision absurde d’accueillir de vols de nuit, prise au milieu des années 80, a précipité le processus de manière affolante. L’ancien Ministre de la Mobilité, Bert Anciaux, avait établi une équivalence éclairante. Un vol de nuit vaut autant, en charge de nuisance, que 10 vols de jours. Dans ce raisonnement, 50 avions de nuit pèsent autant que 500 avions de jours. Le plafond fixé à 25.000 vols de nuit par an équivaut dès lors à 250.000 vols de jours, soit à peu près autant que le volume d’activité diurne actuel. Mais pour un emploi de nuit, on compte près de 15 emplois de jour générés de façon directe ou indirecte par les activités de l’aéroport de Zaventem.

Une décision unilatérale

Malgré ce constat, l’occasion de réduire les vols de nuit donnée par le départ programmé de DHL n’a pas été saisie par le gouvernement flamand. N’est-ce pas désolant ? Sans aucune considération pour la santé de dizaines de milliers de gens – flamands, francophones et « internationaux » (à Kraainem, ils rassemblent 20% de la population) – la Région flamande a tranché en faveur d’une logique économique qui perd le contact avec la réalité citoyenne. Et, ne nous y trompons pas, elle l’a fait seule. Si les partis politiques francophones hésitent parfois à critiquer ouvertement la décision flamande, ce n’est que par peur d’être accusés de vouloir réduire la capacité d’initiative de la Flandre, sa sacro-sainte autonomie. C’est en définitive par crainte du Vlaamse Belang et des nationalistes de moindre acabit qui sauteraient sur l’occasion de hurler : Plus de Flandre ! Beaucoup trop de citoyens souffriront de cette incapacité à mieux défendre la démocratie. Pour autant, affirmer que la Région bruxelloise veut le maintien des vols de nuit pour répondre à ses intérêts serait un mensonge absurde. Jamais les bruxellois n’ont voulu que se développe un secteur économique qui dévaste la santé des habitants du noordrand. Ils n’y ont pas intérêt et c’est leur prêter une intention qui n’existe pas. A Zaventem, l’aéroport de nuit est bien flamand.

Les fautes du SPA-Spirit

Il faudra bientôt faire le bilan de la gestion de l’aéroport de Bruxelles-National à Zaventem par le SPA-Spirit. Et même très bientôt, si le gouvernement fédéral qui ne cesse de trébucher vient à tomber. Il apparaîtra évident aux partis politiques francophones que les actes posés par le SPA-Spirit ont été conditionnés par une stratégie de conquête au profit exclusif de la Flandre. On peut regretter, profondément, que la Mobilité ait pu servir d’arme communautaire et non pas d’outil d’intégration dynamique pour une gestion la plus harmonieuse possible des différentes composantes régionales de l’Etat. Le rejet de la proposition de règlement pacifique présentée par la Région bruxelloise a confirmé le rôle destructif et antagonique du SPA et de Spirit dans ce dossier. Chacun aura pu constater que la réconciliation entre Régions, voulue par le CD&V et le VLD, a été empêchée par le veto de Franck Vandenbroucke et de Bert Anciaux. Et il n’entrait pas dans le rôle fédérateur de l’actuel Ministre de la Mobilité de rejeter d’emblée, d’autorité, une option définie en commun par tous les autres partenaires présents au gouvernement fédéral et dans les deux gouvernements régionaux. Désormais, à moins d’endosser à plaisir le risque de se couvrir de ridicule, la classe politique francophone n’a plus aucune raison d’accepter qu’un ministre socialiste flamand puisse succéder à R. Landuyt dans ses fonctions actuelles.