Interview de Xavier Dubucq,
directeur commercial de DHL, sur RTBF1

INVITE: Xavier DUBUCQ, Directeur commercial de DHL
15 01 2004 – 07:42:00

CHOIX MUSICAL: ONE, de U2
JOURNALISTE: Jean-Pierre JACQMIN

Xavier Dubucq, bonjour. On vient d’entendre One, U2. En terme d’aviation, on pense tout de suite à Air Force One. Alors, est-ce que vous vous sentiriez un peu comme les Américains, en droit d’imposer vos conditions à la Belgique ou alors de déménager vers d’autres contrées le site de DHL ?

On n’impose rien du tout. On propose un développement des activités à partir de Bruxelles National. On demande quelques critères, quelques garanties afin de rendre tout cela réalisable.

Mais c’est pas piqué des vers quand même, les conditions que vous mettez! J’ai vu un document que vous aviez remis au gouvernement wallon: par exemple, pas de contrainte écologique, pas de restriction en normes de bruit, pas de limitation des mouvements nocturnes et des garanties sur 30 ans! Rien que ça!

Oui. Bien sûr, je crois que les garanties demandées sont à la hauteur du projet. Quand on parle de ‘aucune restriction écologique’, il faut quand même savoir que DHL investit plus d’un milliard d’euros dans le renouvellement de sa flotte. Donc, au niveau écologique, je crois qu’on est au top.

Quand vous dites ‘écologique’, c’est quoi ? C’est la pollution due aux avions ou c’est le bruit, la nuisance sonore ?

Je dirais: les deux. Il faut savoir qu’on vole aujourd’hui avec des avions de la dernière génération. Ce qui fait qu’on transporte plus de matériel avec moins de vols. Il faut savoir aussi que les vols de nuit ont diminué au courant de ces dernières années. Et qu’on fait moins de bruit: il a été clairement démontré qu’aujourd’hui, environ 50% de personnes en moins sont perturbées par des vols de nuit.

Mais pourquoi demander de n’avoir de contrainte si vous respectez les normes? Vous pourriez dire: on respecte les normes et on évolue.

Nos critères sont tout à fait dans les normes. Il faut simplement comprendre que nous ne pouvons pas avoir de contrainte de temps, nous devons pouvoir voler à toute heure de la nuit car la demande de nos clients est d’enlever les plis et les colis le plus tard possible et de les livrer le plus tôt possible. Donc, sur l’heure des arrivées et des départs, nous ne pouvons pas avoir de contrainte.

Donc, pas question de vous dire: pas de vol entre minuit et 4 heures du matin par exemple?

Tout à fait impossible pour DHL puisque le coeur même de son activité, ce sont les vols de nuit.

Actuellement, sur l’aéroport de Bruxelles-National, vous assurez 16 000 vols sur les 21 000 vols , décollages et atterrissages, annuels. Vous êtes donc un gros client de l’aéroport de Bruxelles-National. Vous voulez vous développer jusqu’à combien ?

Le plan d’investissement qui devrait être implémenté entre 2007 et 2012 demanderait, en 2012, environ 34 000 vols par an.

C’est quasi impossible puisque la loi, la règle à Bruxelles-National, c’est: maximum 25 000 vols ?

Voilà! Tout le point de la discussion aujourd’hui, c’est que techniquement, Bruxelles-National est tout à fait capable de voir ce plan d’investissement implémenté.

Donc, tout ça est au point ? Pour vous, il n’y a pas de problème ?

Les pistes, les bâtiments, la capacité additionnelle, tout ça est au point à Bruxelles National. Aujourd’hui, le seul problème sur Bruxelles National, c’est le nombre de vols qui est limité à 25 000 par an. Aujourd’hui, on me demande de pouvoir dépasser cette limitation.

Vous pourriez assurer 34 000 vols par an, on sait qu’il y en a actuellement 6 000 vols en plus des vôtres: il faudrait donc avoir quelque chose comme 40-45 000 rotations par an à Bruxelles National. Vous pensez que c’est politiquement acceptable ?

Politiquement acceptable, je ne sais pas, je ne fais pas partie du monde politique. La question devrait être posée au monde politique. Mais je crois qu’aujourd’hui, sachant qu’on vole avec des avions de la dernière génération, sachant aussi qu’on fait nettement moins de bruit qu’il y a quelques années, je crois qu’on a la possibilité de trouver un équilibre économique et écologique sur Bruxelles National.

On entend plusieurs scénarios sortir du 16 rue de la loi. Il y a ce scénario qui est de mettre DHL sur deux aéroports. Est-ce que c’est quelque chose qui peut vous convenir ?

Il est clair qu’au niveau de la Belgique, avoir deux aéroports est tout à fait ingérable, aussi bien au niveau opérationnel qu’au niveau financier. Donc, ce n’est pas du tout une option pour DHL.

Si on vous propose ça, vous dites: non on ne reste pas en Belgique ?

Ce n’est pas une option pour DHL.

Est-ce qu’un autre aéroport en Belgique pourrait vous convenir ?

Tout d’abord, nous croyons que sur Bruxelles National, il y a une solution. Et nous continuons à tout faire pour trouver cette solution. Si jamais il s’avère qu’on est obligé de quitter Bruxelles-National, toute autre option belge arrive au même niveau qu’une option étrangère. Et donc, nous devrons à ce moment-là choisir la meilleure option. Mais, une fois de plus, nous croyons que Bruxelles National est une possibilité.

En gros, ce qui vous intéresse à Bruxelles National, c’est que tout est en place pour pouvoir le faire, sauf la réglementation à la loi belge. Et que si vous devez aller ailleurs, il y a des frais de déménagement qui peuvent compter et vous redistribuez complètement les cartes?

Il faut savoir que Bruxelles National est la plus grande plate-forme logistique européenne de DHL. C’est très très important de savoir cela. De plus, l’infrastructure de l’aéroport est tout à fait exceptionnelle, aussi bien au niveau aérien qu’au niveau routier. Il faut savoir que, dans notre système logistique, les connexions avec les lignes commerciales sont extrêmement importantes. De plus, la qualité de la main d’oeuvre est tout à fait exceptionnelle. Ça, c’est tout à fait clair, les avantages de Bruxelles National sont évidents et nous continuerons à tout faire pour rester à Bruxelles National.

S’il pouvait y avoir un autre aéroport sur la Belgique, qui pourrait avoir les faveurs ?

Aujourd’hui, il est peut-être un peu tôt pour se prononcer à ce sujet. Je crois que plusieurs scénarios sont à l’étude.

On a parlé de Chièvre par exemple. Ça vous paraît possible?

Il est beaucoup trop tôt pour spéculer autour d’une alternative belge. Je vais simplement dire que si Bruxelles-National n’est pas possible, il existe une série d’alternatives aussi bien en Belgique qu’à l’étranger; et on prendra une décision le cas échéant. Mais aujourd’hui, la question ne se pose pas.

Mais ce dont on vous parle le plus, et vous lisez comme moi la presse, vous avez des contacts, c’est l’aéroport de Liège, c’est Bierset?

C’est ce qui semble être l’option la plus réaliste à ce jour.

Mais pour vous, ça n’est quand même pas envisageable ?

Aujourd’hui, le dossier Bierset n’est pas achevé et je crois que Bruxelles National a beaucoup plus de possibilités que Bierset. Donc, il est trop tôt pour se prononcer sur une alternative belge par rapport à l’aéroport de Bruxelles National.

Certains évoquent des scénarios de déménagement non pas des activités de DHL, mais des activités de fret, de cargo d’autres compagnies vers Bierset, Charleroi, Chièvre ou autre. Est-ce que c’est quelque chose qui pourrait vous convenir ?

La question ne doit pas se poser à DHL. Je crois que la question doit être posée aux autres opérateurs sur l’aéroport de Bruxelles National et à BIAC. C’est à eux de voir si tout ça est réalisable. Si cette décision nous permet de pouvoir implémenter notre plan d’investissement 2007-2012 sur Bruxelles-National, évidemment, nous en serions très heureux. Mais évidemment, il faut connaître l’avis des autres opérateurs.

Qu’est-ce qui vous gêne d’aller sur un aéroport où il y a des activités, des opérations militaires? C’est ce que vous indiquez nettement dans tous vos documents ?

Il y a un problème au niveau de la sécurité des opérations. C’est un élément, un critère important dans notre recommandation. Mais je dirais que ce n’est pas ça qui nous empêcherait.

Ce qui vous inquiète c’est qu’éventuellement, à un moment ou l’autre, des opérations militaires peuvent se mettre cours, bloquer l’aéroport pendant quelques temps et empêcher l’activité ?

Par exemple. Il faut savoir que le type d’activité de DHL demande une activité toutes les nuits. C’est le principe même de notre service et nous demandons quelques garanties par rapport à cela évidemment.

Beaucoup parlent aussi du type de jobs que vous proposez, parlant parfois de fast-food jobs, de contrats pas très satisfaisants. C’est quoi en fait ? Si vous deviez faire une offre d’emploi pour les 5 à 10 000 personnes dont vous annoncez qu’ils pourraient trouver du travail grâce à l’extension de DHL, ce serait quoi ?

La majorité des emplois nouveaux qui peuvent être implémentés entre 2 07 et 2012, c’est évidemment une activité de nuit, c’est une activité manuelle, on parle d’une activité entre 5 et 8 heures par nuit selon le type d’emploi. Mais il y a aussi des activités de jour, il y a tout ce qui est programmation.

Mais il y a très peu. La proportion est faible par rapport…

Très peu, non. Quand on parle de 5 000 emplois supplémentaires d’ici 2012, je dirais qu’une grosse majorité se situe sur le site de l’aéroport: environ 3 000. Et que les 2 000 restants sont des activités satellites autour des activités de nuit. Ce sont des emplois tout à faits valables sachant qu’aujourd’hui, 6 500 personnes travaillent pour DHL en Belgique.

Ce sont des contrats à durée indéterminée ? Avec quel type de contrat ?

Contrats à durée tout à fait indéterminée.

Avec quel type de revenus ?

Un employé de DHL qui travaille environ 6 heures par nuit touche environ 1 200 à 1 300 euros nets.

Un employé, un ouvrier ?

Employé ou ouvrier, selon le type d’activité. Donc, ça c’est à voir.

Quelle est votre vision de la manière dont le dossier est amené ? Il y a combien de temps en fait que vous avez mis ce dossier DHL sur la table ?

Les recommandations par rapport à ce plan d’investissement ont été envoyées à plusieurs aéroports lors du premier trimestre 2003.

Donc, il y a tout juste un an maintenant ?

Il y a presque un an.

Et pourquoi est-ce que ça arrive seulement maintenant avec autant de force dans le débat politique ?

Mais cette question, vous devez la poser aux responsables du dossier de l’aéroport.

J’imagine que vous avez du sourire en coin quand le dossier des vols de nuit a provoqué le départ des écolos du gouvernement au printemps de l’année dernière . Vous vous êtes dit: tiens, dans le fond, on parle des vols de nuit et pourtant, ils ont un dossier avec une demande d’extension très importante sur les bras et on ne l’entend pas ?

Je crois que ce dossier est trop important pour dire qu’on sourit par rapport à un cas de figure. On connaît les discussions politiques autour des vols de nuit. On connaissait aussi les discussions par rapport à la capacité de l’aéroport de Bruxelles National. Il faut savoir que ce n’est pas seulement ces derniers jours qu’on discute avec les responsables de l’aéroport. Mais il est évident qu’on a perdu un peu de temps au début de l’année.

Vous avez une vision plutôt cacophonique de la vie politique belge ?

Nous n’avons aucune vision de la vie politique belge. On n’a pas non plus d’avis sur la vie politique belge. On a simplement une détermination sur la réalisation du projet à partir de Bruxelles National. Et je crois que le monde politique aujourd’hui est en mesure de trouver une solution à partir de Bruxelles National.

Donc, pour vous, ça reste là? Le délai, c’est quand ?

On a une réunion très importante en interne chez DHL fin du mois avec une recommandation très précise et très claire par rapport à ce plan d’investissement.

Vous vous sentez suffisamment fort, je reviens un peu à ma question de départ, pour dire: quand même nos conditions sont celles-là, on est prêt à négocier un peu à la marge mais il faut accepter tout ce qu’on dit sur les contraintes écologiques, contraintes économiques, laissez-nous travailler ici ?

Dans le plan d’investissement, les contraintes et critères sont très clairs. Et ce sont des critères, je dirais, assez pointus. Mais nous faisons partie aussi d’un marché très compétitif et nous devons pouvoir agir selon les critères repris dans le plan d’investissement.

Vous croyez à des possibilités d’obtenir des garanties en terme de vie politique belge et autres sur 30 ans ?

Les garanties sur 30 ans ont valeur de contrat. Tout contrat a une certaine valeur. Ce contrat-ci n’a pas plus de valeur qu’un autre contrat, mais il faut pouvoir reprendre ces garanties dans un plan à plus long terme parce qu’avec un investissement aussi important, on doit au moins avoir quelques garanties à plus long terme.