L’aviation civile peine à se décarboner

Journal de l’environnement – 06 mars 2019 par Valéry Laramée de Tannenberg
Les compagnies aériennes devront réduire de moitié leurs émissions d’ici 2050, alors que le trafic devrait doubler. En France, le Corac coordonne les recherches en la matière. Coup de projecteur sur cette alliance public-privé qui vient de publier sa feuille de route environnementale.
L’aviation civile est en plein bouleversement. Alors que montent, en France et en Europe, les demandes de taxation du kérosène, à Londres, les membres de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) négocient d’arrache-pied les règles du Corsia. Ce dispositif de compensation des émissions de CO2 des avions, qui doit entrer en service en 2020, devrait permettre aux compagnies aériennes de minorer leurs impacts sur le climat.
TRAFIC EN CROISSANCE DE 5% PAR AN
Un impact appelé à grossir sensiblement si l’on ne fait rien. L’aviation internationale émet l’équivalent de 2% des émissions anthropiques de CO2. Et, au vu de la croissance actuelle et annoncée du trafic (+5% par an), les rejets carbonés des avions de ligne pourraient plus que doubler entre 2005 et 2050. Un bilan climatique qui ne tient pas compte des autres contributions au réchauffement de l’aviation, comme la formation de cirrus ou de trainées de condensation aux vertus réchauffantes.
Easyjet, c’est la plus verte ? La London School of Economics a évalué le facteur carbone d’une vingtaine de compagnies aériennes. Ce sont des transporteurs asiatiques (Korean Airlines, Singapore Airlines, Japan Airlines ou ANA) qui affichent les pires des performances carbone du panel: 171 g CO2 par passager kilomètre pour Korean. Avec une flotte ultramoderne, c’est la compagnie à bas coût Easyjet qui emporte tous les suffrages: 79 g CO2. Loin devant ses suiveurs immédiats: Alaskan Airlines (91 g) et Latam (96 g). Mauvais point pour Easyjet: en pratiquant de très bas prix, la compagnie britannique incite les Européens à emprunter massivement l’avion, de loin le moyen de transport le plus polluant.
Exclu du champ d’application de l’Accord de Paris, l’aviation élabore une politique climatique sectorielle. L’OACI a fixé le cap: une réduction des émissions de moitié entre 2005 et 2050. Et une croissance neutre en carbone entre 2009 et 2020. Ce qui implique que le secteur améliore de 1,5% par an son efficacité énergétique.
En France, c’est le Conseil pour la recherche aéronautique civile (Corac) qui coordonne les recherches en la matière. Emanation des membres du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas) et des pouvoirs publics, le Corac vient de publier sa feuille de route environnementale.
LE TIERS DE L’EFFORT
La réduction des consommations des prochains avions y figure en bonne place. «Des avions comme l’A 350 ou l’A 320 Neo consomment 15 à 20% de moins que leurs aînés. Sans doute un peu plus avec l’amélioration de la gestion du trafic aérien. Pour autant, cela représente environ le tiers de l’effort que nous devons faire pour atteindre notre objectif à 2050», souligne Stéphane Cueille, en charge de la recherche et de l’innovation chez Safran et président du comité de pilotage du Corac.
Les deux autres tiers de l’effort seront produits en deux temps. A court terme, avionneurs, équipementiers et raffineurs vont améliorer leurs produits par apports incrémentaux. «Cela devrait nous permettre de progresser notamment dans la gestion de l’énergie», souligne Jean-Brice Dumont, en charge de l’ingénierie chez Airbus. Au menu: allègement de la cellule de l’avion, moteurs moins gourmands. Ces progrès devront être couplés à la généralisation de nouveaux carburants décarbonés, kérosène d’origine végétale (ou animale), hydrogène, motorisation hybride.
TECHNOLOGIES DE RUPTURES
Passé 2030, les constructeurs devront développer des technologies de rupture. «Il est clair que nous devons accélérer pour tenir nos engagements», constate Stéphane Cueille. Un consortium réunissant Total, Air France, Suez, Safran, Airbus, met sur pied une filière tricolore de production et de distribution de kérosène d’origine végétale, voire issu de la valorisation d’huiles usagées.
Les contraintes qui pèseront sur le secteur (Corsia, éventuel alourdissement de la taxation du kérosène ou des billets d’avion) peuvent-elles accélérer le progrès technique? «Corsia devrait aider au développement des biocarburants», confirme le responsable de Safran. Quid du durcissement de la fiscalité carbone? «Anticiper un relèvement de la taxation du kérosène est pertinent, estime l’ingénieur en chef d’Airbus, mais attention à ne pas créer des distorsions de concurrence entre les compagnies européennes et leurs concurrentes. Il faut qu’Air France conserve les moyens financiers de renouveler sa flotte d’avions.»