Survol de la capitale : Bruxelles gigote, Strasbourg
 recule !

iew.be
24 avril 2014

panneaux-interdiction-avionDisperser ou ne pas disperser ? Telle est la question autour de laquelle tournent tous les dĂ©bats relatifs au transport aĂ©rien dans notre pays, ces derniĂšres semaines. Discours, discussions, joutes verbales, communiquĂ©s, dĂ©clarations, courriers, interpellations se sont multipliĂ©s suite Ă  la mise en place, en fĂ©vrier, d’un nouveau plan de gestion des vols Ă  l’aĂ©roport de Zaventem. Le feu couvait sous la cendre, le nouveau plan l’a ranimĂ©. En une sauvage danse Ă©lectorale, femmes et hommes politiques se sont fĂ©brilement agitĂ©s autour du brasier, y jetant qui de pleines brassĂ©es de bĂ»ches, qui de grands seaux d’eau. Cette focalisation du dĂ©bat aĂ©rien sur la seule gestion de la nuisance « bruit » sur un aĂ©roport – fĂ»t-il national – prĂ©sente, pour l’environnement, un quadruple danger.

Premier danger : le bruit est certes une incidence importante du transport aĂ©rien, mais ce n’est pas la seule [1] :

  • sur le plan Ă©nergĂ©tique, le transport aĂ©rien est un des secteurs d’activitĂ©s les plus dĂ©pendants du pĂ©trole. Le maintien de sa croissance « justifie » dĂšs lors l’exploitation de tous les types de pĂ©trole, y compris les plus polluants (sables bitumineux notamment) et le dĂ©veloppement de leurs substituts (agrocarburants) ;
  • vu les altitudes auxquelles opĂšrent les avions, le transport aĂ©rien est responsable de 5 Ă  9% des changements climatiques imputables Ă  l’homme au niveau mondial ;
  • particules fines, oxydes d’azote, carburant imbrĂ»lĂ©, 
 : la pollution au voisinage des aĂ©roports ne se limite pas – loin s’en faut – Ă  la seule pollution sonore. « Oublier » les autres nuisances c’est, implicitement, considĂ©rer que, une fois rĂ©glĂ© le problĂšme du bruit, le transport aĂ©rien sera respectueux de l’environnement – ce qui constitue au mieux une erreur grossiĂšre, au pire un crapuleux mensonge.

DeuxiĂšme danger : les discours politiques se fondent, dans leur majoritĂ©, sur une logique d’opposition entre les riverains d’aĂ©roports, victimes objectives du dĂ©veloppement de ceux-ci, et « les avions » ; ils Ă©vacuent de ce fait tout dĂ©bat sur la responsabilitĂ© sociĂ©tale du dĂ©veloppement du transport aĂ©rien et toute remise en question de son utilisation. Dans nos sociĂ©tĂ©s, une part non nĂ©gligeable (pour ne pas dire la totalitĂ©) de la population utilise les services aĂ©riens, soit directement (en tant que voyageur), soit indirectement (en tant de consommateur de produits importĂ©s de pays lointains) – et ceci quel que soit le lieu de rĂ©sidence. C’est la somme de tous ces comportements individuels qui gĂ©nĂšre les nuisances – tout comme pour le transport routier. Par ailleurs, l’identification implicite des associations de riverains Ă  des entitĂ©s autonomes sans autre lien avec le secteur aĂ©rien que celui des nuisances subies peut mener Ă  une diabolisation de ces associations, prĂ©sentĂ©es comme incapables de prendre la mesure des autres dimensions du secteur.

TroisiĂšme danger : la gestion des plans de vol et la dĂ©localisation de l’aĂ©roport national sont les deux seules solutions potentielles qui Ă©mergent du dĂ©bat politique. La question de la rĂ©duction de la demande de transport, tabou politique absolu, est soigneusement Ă©vitĂ©e. Ceci en dĂ©pit de constats on ne peut plus clairs, tel celui posĂ© par la Commission europĂ©enne Ă  la fin du siĂšcle passé : « Globalement, les incidences sur l’environnement sont appelĂ©es Ă  augmenter car l’écart entre le taux de croissance et le rythme des amĂ©liorations environnementales semble s’élargir dans des domaines importants tels que les Ă©missions de gaz Ă  effet de serre. Cette tendance ne saurait durer et doit ĂȘtre inversĂ©e eu Ă©gard Ă  ses effets sur le climat et sur la qualitĂ© de vie et de santĂ© des EuropĂ©ens » [2]. Ignorer cette rĂ©alitĂ©, refuser d’envisager la rĂ©duction de la demande de transports polluants (qu’ils soient routiers ou aĂ©riens), qui est la seule option crĂ©dible pour inverser les tendances, c’est se condamner Ă  l’échec climatique.

QuatriĂšme danger : le dĂ©bat belgo-belge des derniĂšres semaines est dĂ©sincarnĂ© du contexte politique europĂ©en ; de ce fait, rares sont les femmes et les hommes politiques qui travaillent Ă  rendre celui-ci plus propice Ă  la gestion des nuisances environnementales. Et pourtant, l’horloge europĂ©enne tourne ! Ce mercredi 16 avril, en sĂ©ance plĂ©niĂšre Ă  Strasbourg, le Parlement europĂ©en adoptait le « RĂšglement du Parlement europĂ©en et du Conseil relatif Ă  l’établissement de rĂšgles et procĂ©dures concernant l’introduction de restrictions d’exploitation liĂ©es au bruit dans les aĂ©roports de l’Union, dans le cadre d’une approche Ă©quilibrĂ©e, et abrogeant la directive 2002/30/CE » [3]
. DerriĂšre cette appellation-fleuve se cache un texte qui rĂ©duit la marge de manƓuvre des Etats dans la gestion du bruit pour les aĂ©roports dont le trafic est supĂ©rieur Ă  50.000 mouvements (atterrissages ou dĂ©collages) par an (en Belgique, seuls Zaventem (216.677 mouvements en 2013) et Gosselies (83.954) sont concernĂ©s ).

Sans entrer dans les détails du texte, relevons-en quelques éléments.

  • L’article 2 dĂ©finit en ces termes l’approche Ă©quilibrĂ©e Ă  laquelle le titre du rĂšglement se rĂ©fĂšre : « la procĂ©dure Ă©laborĂ©e par l’Organisation de l’aviation civile internationale en vertu de laquelle sont examinĂ©es de façon cohĂ©rente les diverses mesures disponibles, Ă  savoir la rĂ©duction Ă  la source des nuisances sonores liĂ©es au trafic aĂ©rien, l’amĂ©nagement et la gestion du territoire, les procĂ©dures d’exploitation dites « à moindre bruit » et les restrictions d’exploitation, en vue de traiter le problĂšme du bruit de maniĂšre Ă©conomiquement efficiente, aĂ©roport par aĂ©roport ». C’est donc l’efficience Ă©conomique le critĂšre d’examen des diffĂ©rentes mesures de gestion des nuisances sonores.
  • L’article 5, point 6 explicite que « les mesures ou une combinaison de mesures prises conformĂ©ment au prĂ©sent rĂšglement pour un aĂ©roport donnĂ© ne sont pas plus restrictives que cela est nĂ©cessaire pour rĂ©aliser les objectifs environnementaux de rĂ©duction du bruit qui ont Ă©tĂ© fixĂ©s pour cet aĂ©roport. » En clair : il ne faut surtout pas que la gestion du bruit mette en danger la croissance du transport aĂ©rien.
  • L’article 6, point 2, d), prĂ©cise que les mesures de restriction d’exploitation doivent ĂȘtre soumises pour consultation Ă  certaines parties intĂ©ressĂ©es, c’est-Ă -dire : aux riverains, aux autoritĂ©s locales, aux entreprises locales affectĂ©es par le trafic aĂ©rien et l’exploitation de l’aĂ©roport, aux exploitants d’aĂ©roports, aux exploitants d’aĂ©ronefs, aux prestataires de services de navigation aĂ©rienne et au coordonnateur dĂ©signĂ© pour les crĂ©neaux horaires. Nulle rĂšgle de pondĂ©ration des avis des uns et des autres n’est prĂ©cisĂ©e, nulle garantie n’est accordĂ©e que les avis des riverains seront pris en compte.
  • L’article 8 Ă©tablit les rĂšgles relatives Ă  l’introduction de restrictions d’exploitation, lesquelles incluent un droit d’examen de la part de la Commission europĂ©enne.
  • L’annexe II relative Ă  l’évaluation du rapport coĂ»t-efficacitĂ© des restrictions d’exploitation liĂ©es au bruit liste les facteurs qui doivent ĂȘtre pris en compte pour cette Ă©valuation et ceux qui PEUVENT l’ĂȘtre (mais ne le doivent pas nĂ©cessairement). Au rang de ces derniers, la santĂ© et la sĂ©curitĂ© des riverains de l’aĂ©roport et la durabilitĂ© environnementale


Pragmatisme contre rupture

Le Parlement europĂ©en se targue d’avoir « contraint » la Commission europĂ©enne Ă  faire une dĂ©claration relative Ă  la prise en compte des effets du bruit sur la santĂ©. Que dit cette dĂ©claration ? « La Commission examine actuellement avec les États membres l’annexe II de la directive 2002/49/CE (mĂ©thodes de calcul du bruit) en vue de son adoption dans les mois Ă  venir. En se fondant sur les travaux rĂ©alisĂ©s actuellement par l’OMS concernant la mĂ©thodologie destinĂ©e Ă  Ă©valuer les effets du bruit sur la santĂ©, la Commission a l’intention de revoir l’annexe III de la directive 2002/49/CE (estimation des effets sur la santĂ©, courbes dose-effet). » Une intention de la Commission, sans engagement ferme, sans agenda : voilĂ  le niveau d’ambition politique qui satisfait la majoritĂ© des reprĂ©sentants des peuples europĂ©ens [4].

La majoritĂ©, mais quelle majorité ? L’examen des rĂ©sultats des votes publiĂ©s sur le site votewatch nous apprennent que le texte du rĂšglement a Ă©tĂ© adoptĂ© par 545 voix contre 124. Seuls quatre Belges ont votĂ© contre le texte : Isabelle Durant (Ecolo), Philippe Lamberts (Ecolo), Barts Staes (Groen) et
 Philip Claeys (Vlaams Belang).

Les personnes qui ont votĂ© en faveur du texte souligneront sans doute la nĂ©cessitĂ© d’ĂȘtre « rĂ©aliste ». Ils Ă©voqueront certainement que le processus lĂ©gislatif europĂ©en nĂ©cessite – pour qu’un texte soit adoptĂ© – l’atteinte d’un compromis entre le Parlement, la Commission et le Conseil. Ils se rĂ©fĂ©reront, c’est probable, au vieil adage selon lequel mieux vaut, parfois, un mauvais compromis que pas de compromis du tout. Certes, trois fois certes. Il est cependant indispensable, dans certaines situations, de savoir et pouvoir s’extraire de ce pragmatisme qui enferme les acteurs dans une logique de fonctionnement fermĂ©e, une logique qui rejette comme un corps Ă©tranger tout enjeu « nouveau ». Il faut parfois oser dire non. Oser la rupture. Oser penser et agir autrement. Oser dire que la prĂ©servation de l’environnement, la protection de la vie humaine et de la qualitĂ© de celle-ci doivent ĂȘtre prioritaires par rapport Ă  la rentabilitĂ© financiĂšre de tel ou tel secteur d’activitĂ©s. Il est regrettable qu’un nombre aussi restreint de dĂ©putĂ©s europĂ©ens aient eu cette audace Ă  l’’occasion du vote du mercredi 16 avril.

En jouant la carte du pragmatisme, en refusant cette logique de rupture, la majoritĂ© des acteurs politiques refusent de facto d’apporter aux problĂšmes environnementaux des solutions crĂ©dibles, Ă  la mesure de ceux-ci. Le traitement de la question des plans de vol Ă  Zaventem est parfaitement illustratif de ce blocage qui affecte tant la classe politique que la sociĂ©tĂ© civile.

[1] Ces aspects sont développés dans le dossier « Les limites du ciel : enjeux du développement incontrÎlé du transport aérien », publié par la Fédération en 2008

[2] Commission europĂ©enne : Communication sur les transports aĂ©riens et l’environnement (COM(1999) 640 final)

[3] Le texte est consultable ici

[4] On trouvera l’analyse faite par le Parlement ici