Bruxelles relance son projet explosif : la vente des créneaux aéroportuaires de décollage

Latribune.fr
12/11/2019

Huit ans après avoir renoncé à son projet de création d’un marché des créneaux horaires de décollage et d’atterrissage (« slots ») pour les aéroports européens congestionnés, la Commission européenne revient à la charge sur ce dossier explosif qui vise à proposer une nouvelle fois la mise en place d’un système de « monétarisation » des créneaux horaires. Elle a mandaté un cabinet de conseil pour mettre à jour l’étude d’impact qui avait nourri sa proposition en 2011.

Huit ans après avoir renoncé à son projet de création d’un marché des créneaux horaires de décollage et d’atterrissage (« slots ») pour les aéroports européens congestionnés, la Commission européenne revient à la charge sur ce dossier explosif qui vise à proposer une nouvelle fois la mise en place d’un système de « monétarisation » des créneaux horaires. Autrement dit, de créer en Europe un « marché secondaire » où la vente des créneaux horaires entre compagnies aériennes, aujourd’hui interdite, serait autorisée comme c’est le cas au Royaume-Uni. Pas plus tard que vendredi dernier, Easyjet a en effet racheté dix-huit paires de créneaux quotidiens de la défunte Thomas Cook Airlines à Londres Gatwick et sept à Bristol, pour 36 millions de livres sterling

« La Commission envisage d’étendre ce marché secondaire aux autres pays de l’Union européenne », a déclaré ce jeudi 7 novembre Christophe Dussart, chef d’unité adjoint de la direction générale MOVE en charge de la politique aérienne à la Commission européenne, lors d’un colloque organisé par l’Union des aéroports français et francophones (UAF & FA).

Deux objectifs

L’objectif est double. Selon la Commission, alors que le trafic ne cesse de croître, un tel procédé d’une part optimiserait l’utilisation des créneaux horaires et, d’autre part, faciliterait l’arrivée de nouveaux entrants sur les  aéroports européens saturés – deux lacunes du règlement actuel fréquemment dénoncées.

« La congestion aéroportuaire ne va pas s’arrêter et la problématique des créneaux horaires va s’accentuer. Ce qui est important, c’est le maintien de la stabilité des réseaux des compagnies aériennes. C’est la raison d’être de base de ces créneaux horaires. Dans le même temps, nous avons un gros souci en matière de concurrence. Comment peut-on créer plus de concurrence des nouveaux entrants et maximiser la capacité des aéroports ? », a-t-il fait valoir.

Règlement de 1994 et « droit du grand-père »

Schématiquement, le règlement actuel, qui date de 1994, reconduit chaque saison les créneaux horaires d’une compagnie sur un aéroport donné, dès lors qu’elle les a utilisés au moins à 80% lors de la saison précédente – ce que la profession appelle le droit du « grand-père ». Les 20% de marge servent à couvrir les annulations de vols pour cause d’aléas techniques, météorologiques ou de grèves.

Mais ils poussent parfois les compagnies à voler à vide afin de ne pas perdre leurs créneaux, ou à réduire leur activité sur une ligne peu rentable lorsque le taux de 80% est atteint.

Ce gaspillage est dénoncé par la Commission car il garantit aux compagnies installées de conserver leurs créneaux, d’autant plus qu’il n’y a pas de motivation financière pour les inciter à les lâcher à des concurrents. Lorsque des créneaux se libèrent sur un aéroport, une moitié est attribuée aux compagnies déjà implantées, l’autre moitié aux « nouveaux entrants », à savoir les compagnies qui possèdent moins de 5% des créneaux sur l’aéroport.

La Commission a mandaté le cabinet Steer pour mettre à jour l’étude d’impact qui avait nourri la proposition de monétarisation des créneaux en 2011. L’étude sera remise à la Commission au premier semestre 2020. « La décision de reprendre la proposition de 2011 ou d’en présenter une nouvelle reviendra à la prochaine Commission », indique une source à Bruxelles.

Selon un proche du dossier, un rapport d’étape est prévu en début d’année 2020 et un rapport final pourrait voir le jour en mai-Juin. « Ensuite la Commission Européenne décidera si elle retire le projet qui est sur la table et propose quelque chose d’autre ou si un lifting de sa proposition actuelle est suffisant », explique cette source.

La vente aux enchères pour les nouvelles capacités n’est pas exclue

Or, selon Christophe Dussart, la Commission regarde déjà des scénarios plus disruptifs que la vente des créneaux entre compagnies, comme la vente aux enchères des « slots » lorsque de nouvelles disponibilités apparaissent (on parle alors de marché primaire), au moment de l’ouverture de nouvelles capacités aéroportuaires ou de la constitution d’un pool de créneaux à distribuer à la suite de la disparition d’une compagnie comme cela s’est produit récemment avec Aigle Azur ou Thomas Cook Airlines, ou tout simplement d’une restitution de créneaux par un transporteur.

« C’est le marché secondaire qui figurait dans la proposition de la commission (de 2011, Ndlr). On regarde si l’on peut ajouter des choses qui n’en faisaient pas partie, comme par exemple, la mise en place de ventes aux enchères en cas de capacités nouvelles des aéroports. La question se pose si cela fait sens aujourd’hui », a déclaré Christophe Dussart.

Pour autant, s’il y a débat sur la création d’un marché secondaire des créneaux, il semble y avoir consensus entre les compagnies et les aéroports pour refuser la mise en place d’un système d’enchères pour le marché primaire. Selon Christophe Dussart, « il y a assez peu d’appétit sur ce sujet tant du côté des aéroports que du côté des compagnies ».

La France réticente

Le projet de la Commission promet de faire des vagues. Certains États-membres, comme la France, sont réticents voire hostiles à une monétarisation des créneaux. Au niveau des opérateurs, la bagarre fait rage entre les aéroports qui demandent une modification substantielle du Règlement européen sur les créneaux horaires et les compagnies classiques membres de l’Association internationale du transport aérien (IATA).

« Le texte présenté en 2011 par la Commission a fait ressortir des oppositions conceptuelles entre des groupes d’États sur cette approche de marché secondaire et sur la financiarisation des créneaux. Il y avait un groupe de pays, dont faisait partie la France, qui considérait que les créneaux aéroportuaires ne sont pas des biens marchands comme un autre. Ce sont des entités de capacités aéroportuaires dans le temps et dans l’espace, et cette capacité aéroportuaire, au même titre que l’infrastructure aéroportuaire, est de nature publique par essence », a indiqué Paul Avrillier, conseiller transport aérien de la représentation permanente française à Bruxelles.

Et d’ajouter :« Nous sommes prudents sur une approche de financiarisation des créneaux qui serait un cadeau fait à celui qui récupèrerait cette valeur à l’instant « t ». Par ailleurs, même si le système actuel date, il n’a pas empêché l’extraordinaire développement du marché européen, l’essor de la concurrence avec l’arrivée de nouvelles compagnies. Avant de tout modifier, il faut bien mesurer les effets de ce qu’on voudrait modifier. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aurait pas des optimisations à apporter au fonctionnement d’attribution des créneaux. Mais il faut se méfier. Notamment sur l’impact sur la concurrence. Car, dans un contexte de consolidation des compagnies aériennes, les effets d’un marché secondaire sur une plus grande concurrence ne sont pas forcément évidents. »

Les aéroports veulent une réforme en profondeur

Les aéroports sont en tout cas favorables à une modification du système.

« Il existe aujourd’hui 192 aéroports européens qui rencontrent des problèmes de congestion et sont coordonnés pour la gestion des créneaux. Et il va y en avoir de plus en plus », expliquait au colloque de l’UAF & FA Olivier Jankovec, directeur général de l’ACI Europe, l’association des aéroports européens.

« Le Règlement européen transcrit essentiellement les règles des compagnies aériennes membres de IATA, lesquelles ont été fixées il y a des décennies sans les aéroports. C’est incroyable que les règles qui fixent l’utilisation des infrastructures et la façon dont on peut optimiser ou pas nos capacités aient été fixées sans nous. Dans le fonctionnement au quotidien, il y a très peu de transparence. Nous sommes preneurs d’une révision en profondeur du règlement européen. Les aéroports doivent avoir voix au chapitre sur la façon dont les créneaux sont distribués », a-t-il précisé, en reconnaissant néanmoins que « le système IATA a des aspects positifs ».

Fabrice Gliszczynski