Climat et pollution de l’air: mais pourquoi le kérosène des avions échappe-t-il aux taxes?

rtl.be
17/12/2018

Arnaud Vankerckhove , publié le 17 décembre 2018 à 06h00   

En réaction aux accises élevées sur l’essence et le diesel, de nombreux lecteurs nous interpellent sur l’absence de taxes sur le kérosène. D’autant que les avions sont responsables de 2 à 3 % des rejets d’émissions de CO2 de la planète, sans compter les autres gaz polluants émis lors d’un vol. Et pourtant, bien souvent, il s’agit du moyen de transport le moins cher…

« Il y a des milliers d’avions qui sillonnent le ciel jours et nuits, et personne ne leur dit rien. Or, un passager d’avion pollue trois fois plus que le passager d’une voiture. Mais nous, les automobilistes, on nous saigne sans hésitation au nom de l’environnement. Cherchez l’erreur« , nous a écrit Bruno via le bouton orange Alertez-nous.

« Vous critiquez et culpabilisez toujours les automobilistes pour la pollution. Par contre les avions, rien. Il est vrai que eux ne paient pas d’accises à notre gouvernement. Alors, messieurs les journalistes, pourquoi ce silence ? Êtes-vous à la botte de notre gouvernement, des lobbies de l’aviation, ou les deux ?« , s’interroge un autre lecteur anonyme.

Ce type de messages, que nous recevons régulièrement, témoigne du malaise qui règne dans notre société et des crispations que génèrent certaines taxes, dont celles liées à la lutte pour l’environnement. Et d’un autre côté, il est tout à fait vrai que le secteur aéronautique est responsable d’une importante partie des rejets de CO2. Selon les chiffres de l’OCDE, les avions seraient responsables de 3% des émissions mondiales. Autrement dit, si l’aviation était un pays, elle serait le 7e plus gros pollueur. Mais ce n’est pas tout: un avion émet aussi des oxydes d’azote, responsables de la production d’ozone et de la vapeur d’eau qui provoque des trainées de condensation ayant un effet de réchauffement. Si l’on prend en compte tous les gaz polluants rejetés par les avions, le secteur serait responsable de 5% du réchauffement climatique, selon un rapport du GIEC (Groupe Intergouvernmental pour l’Etude du Climat).

Malgré cela, et comme l’indiquent bon nombre d’internautes, le kérosène des avions n’est pas taxé. Ce moyen de transport reste donc, d’un point de vue budgétaire, très intéressant. Comparable, selon les distances, au prix de la voiture. Mais tellement moins cher que le train, l’électricité étant,  elle, bien taxée.

Mais pourquoi une telle inégalité ?

Pour comprendre pourquoi le kérosène n’est pas taxé, il faut remonter en 1944. Après la guerre, les Etats-Unis souhaitaient maintenir leur production d’avions et développer l’aviation civile. 52 pays ont alors signé la convention de Chicago, qui interdit à un pays de taxer le contenu des réservoirs d’un avion à l’arrivée. Dans la foulée, d’autres pays signent cette convention et toute une série d’accords bilatéraux, empêchant toute taxation, sont signés. Aujourd’hui, 191 pays sont liés par ce texte.

On peut donc estimer que le trafic aérien brûle sans doute en moyenne aux environs de 500 millions de litres de kérosène à l’heure !

Durant plusieurs décennies, l’avion reste l’apanage des plus nantis. Mais petit à petit, les compagnies low-cost arrivent sur le marché, et induisent une situation « environnementalement » illogique. « Pour faire 1.000 km en avion, un couple fera consommer environ 100 litres de kérosène à l’avion qui les transporte (5L./100km par siège) et pour un prix qui n’est qu’une fraction de celui du train« , indique Philippe Casse, historien de l’automobile, qui ajoute: « Le même déplacement ne générera qu’environ 50 litres de Diesel alors que certains ‘bons esprits’ considèrent comme quasi pervers l’usage d’une auto sur de telles distances« .

Et pour illustrer la pollution générée, il avance quelques chiffres: « Il y a aujourd’hui en moyenne, 24h/24, 7j/7, environ 2 millions de personnes ‘en l’air’ en même temps. On peut donc estimer que le trafic aérien brûle sans doute en moyenne aux environs de 500 millions de litres de kérosène à l’heure ! »

Les règles peuvent-elles changer ?

Au niveau international, c’est très peu probable, d’autant qu’il n’y a pas de réelle alternative aux vols intercontinentaux. Mais surtout, tous les pays devraient s’accorder en même temps, ce qui semble utopique. Par contre, une taxation est possible si un avion décolle et atterrit dans un même pays. C’est le cas aux Pays-Bas, aux Etats-Unis, au Brésil, au Japon, en Suisse et en Inde. Mais avouons-le, en Belgique, cela n’a pas beaucoup de sens au regard de la taille du territoire. « Premièrement, le pays est tellement limité qu’à part un petit avion de loisir de temps à autre, aucun avion ne décolle de Belgique pour atterrir en Belgique. Toute mesure qui serait prise devrait donc l’être sur le plan international« , argumente Olivier Neirynck, porte-parole de la fédération des négociants en combustibles et carburants. « Et deuxièmement, d’un point de vue belgo-belge, si le gouvernement décide du jour au lendemain de taxer le kérosène, il n’y aurait quasi plus de vols au départ et à l’arrivée dans le pays. Les avions décolleraient d’Amsterdam, Francfort, Paris, etc…« , estime-t-il.

Au niveau européen, par contre, il y a sans doute quelque chose à faire. « Pas un centime de TVA ou accises n’est perçu par les Etats de la Communauté Européenne sur le carburant consommé lors d’un vol intra-communautaire, fortement soutenu par la publicité des compagnies Low-Cost. Je reste stupéfait parce que personne ne semble s’émouvoir de la dépense exorbitante en carburant sur les cours et moyens courriers« , s’interroge Philippe Casse.

« On est très largement isolé sur cette question »

Pour savoir si une telle mesure pouvait être prise sur le continent, nous avons tout d’abord contacté le cabinet de Marie-Christine Marghem, ministre fédérale de l’environnement. Il y a, selon nous, deux éléments à retenir de la discussion que nous avons eue: premièrement, le gouvernement Michel ne s’est pas penché sur un tel dossier, et deuxièmement, « Marie-Christine Marghem serait impliquée dans les discussions, mais au niveau décisionnel, c’est plutôt les Finances qui auraient la main« , nous a confié Bernard Van Hecke, porte-parole de la ministre.

Au cabinet du ministre des finances Johan Van Overtveldt, contacté avant que les ministres N-VA ne quittent le gouvernement Michel, nous n’avons pas eu de réponse à nos questions. Et vu la situation politique actuelle, nous n’en aurons plus. Mais il semble évident que ce dossier n’ait pas retenu l’attention du ministre durant ces quatre dernière années, tant les interlocuteurs que nous avons pu joindre ne semblaient pas au courant de la moindre ébauche de travail sur la question.

Nous nous sommes alors tournés vers Philippe Lamberts, député européen (Ecolo), pour savoir s’il y avait des discussions sur la question au Parlement à Strasbourg. Et en effet, il y en a, mais on est là aussi très loin d’un accord. On semble même à des années lumières. « Oh oui, les discussions (sur la question des taxes sur le kérosène) sont souvent revenues dans l’hémicycle à Strasbourg. Mais la plupart des parlementaires votent contre une telle proposition. On est très largement isolé sur cette question« , nous a-t-il confié.

Le kérosène semble donc encore assuré d’échapper à toute taxe durant plusieurs années, et le billet d’avion restera plus que probablement sensiblement moins cher que le train pour relier les grandes villes européennes entre elles. Pourtant, à la grande louche, le train serait à peu près 20 fois moins polluant que l’avion.